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    Huis clos [à] 5 [dans] l’eau  

          

     Parapluie noir fermement –et fermément- en main, elle arrive et se place naturellement à la suite des quatre déjà présents.  

    Le premier porte non sans mal un vélo au-dessus de lui. Son visage cramoisi fait entendre une respiration difficile. Les bras et tantôt le corps entier tremblent et vacillent.  

    Le deuxième porte ses vêtements… entre ses mains. Sa totale nudité révèle la tension de chaque muscle bandé. Les mâchoires aussi serrées que ses phalanges autour des précieuses étoffes, l’homme est tour à tour mu par une chaude agitation fébrile ou à l’inverse par une glaciale immobilité de marbre.  

    Derrière lui vient l’anxiété faite homme. Frêle et discret, la tête rentrée dans les épaules trop relevées, il est en perpétuel mouvement, tripotant, repliant, resserrant, relevant, rabaissant, tournant et retournant les feuilles, vêtements, livres, chaussures, boites, qu’il parvient par une insondable magie à ne pas faire tomber.   

    Le quatrième est une quatrième. Le visage rond, le sourire bonhomme, les yeux rieurs, elle est à l’image des fleurs de sa robe : solaire. Elle se méfie d’ailleurs farouchement des larmes du ciel, au vu du parapluie qui l’accompagne.  

    Largement souriante, La nouvelle arrivante joue à faire tourner son parapluie autour de ses doigts, à la façon d’une majorette sans musique et lance un joyeux « Bonjour ! » à la cantonade.  

    De porteuse de parapluie à porteuse de parapluie, la femme lui rend son large sourire et son « Bonjour ».  

    Devant elle, le timide offre un chevrotant « Eum, oui, bonjour. »  

    Après quoi, c’est un « ‘jour ! » au ton aussi sec que le corps.  

    Enfin, sous le vélo, on entend un « Hmmpff » émaner du visage écarlate.  

    Naturelle et enjouée, elle poursuit : « ça va ? »  

    Surprise et incrédule, elle se contente de sourire.  

    La timidité vire à la franche inquiétude. Les objets sont pliés, dépliés, tenus, tournés, serrés, tripotés avec encore plus de fébrilité.  

    Aucune réaction de l’Adam.  

    Et le rougeaud rougit encore.  

    Visiblement encouragée par le silence général : « Vous êtes là depuis longtemps ? » Et sans attendre de réponse : « C’que je peux être excitée, moi ! Et impatiente ! La patience, de toute façon, c’est pas mon truc. Oh et puis je ne savais pas quoi emmener ! Alors j’ai pris le parapluie. Je ne sais pas si j’ai bien fait. Vous avez quoi, vous ? Ah ! Un autre parapluie ! Bien ! C’est que ce doit être une bonne idée ! En même temps, c’est utile, un parapluie. On peut pas dire le contraire. Dites, monsieur, vous, vous êtes du genre prévoyant, avec tous vos trucs, là. J’aurais peutêtre dû prendre un livre, aussi. Ou mon agenda. Ou un carnet, tiens. Oui, un carnet. Ah oui, mais alors il m’aurait fallu un stylo. Vous avez pris un stylo, vous ? Le problème avec les stylos, après, c’est la question de l’encre… ça coule, ça tache, et puis ça finit par manquer. Un crayon plutôt ! Oui, un crayon c’est mieux. Ah mais il faut le tailler, le crayon. Et un taille crayon, pour ce que ça sert, c’est trop encombrant. Ou alors… un petit canif. On peut tailler un crayon, avec un canif. Mais on peut faire pleins d’autres choses aussi, avec. C’est pas mal, un canif. Zut ! J’aurais dû en prendre un ! … Bon, en même temps… j’en ai pas de canif, moi. Il m’aurait fallu en acheter. Mais de l’argent, je n’en ai pas sur moi. Il est cousu dans la doublure de mes … des vêtements !!!! Vous croyez que j’aurais dû prévoir des vêtements ? Vous en avez, vous ? Remarquez… si jamais… je peux toujours utiliser la toile du parapluie pour me confectionner quelque… rha !!! Il me fallait vraiment un canif !! Et une aiguille. Et du fil. Ou de la ficelle. Bon, bon, bon… Si je prends mon temps, je dois pouvoir utiliser les armatures du parapluie comme aiguille, le fil comme…fil. Et couper les morceaux de tissu avec les dents. Oui, je vais faire ça. C’est bien ça. …Vous pensez qu’on en a pour longtemps ? »  

    « Quelqu’un lui dit de fermer sa gueule ou son putain de parapluie va aussi lui servir de colonne vertébrale flambant neuve !!! »  

    Tremblements, début d’attaque de panique.  

    « Allons, allons, ne nous fâchons pas… comme disait toujours ma vieille tante, la vie c’est comme une boîte de chocolat, qu’importe le goût, pourvu qu’on ait un papier rose brillant autour. Ah…. Elle en a vécu des choses, tantine… Mais elle a toujours gardé le sourire ! D’ailleurs elle avait une chanson… ça faisait « l’a pas perdu sa bonne humeur, meur, meur, meur, meur, l’a pas perdu sa bonne humeur, meur, meur, meur, meur… »  

    Fulminant : « Je vais te la faire bouffer ta bonne humeur !!!! »  

    « Pardonnez-moi, je ne voulais pas semer le trouble… Même si… Bon… J’avoue, je m’attendais quand même à autre chose, je crois. Un accueil convenable, disons… C’est comme vous, là-bas, devant, vous ne dites rien ? Pas même un bonjour ! Notez, il n’a pas l’air facile-facile, à porter, votre vélo. Et puis il a l’air lourd, en plus. ça va les bras ? Pas trop mal ? »  

    Pendant ce temps, devant, ne prêtant aucune attention à la conversation, l’écarlate ne semble plus pouvoir respirer. Sans un bruit, ses bras tremblent de plus belle, son corps entier est secoué de spasmes à présent. Son visage semble se déformer. Ses yeux ne sont plus que deux billes folles, injectées de sang. Soudain et alors que la querelle bat son plein derrière lui, son crâne se met à gonfler. Comme un dessin qui s’étire sur ballon de baudruche dans lequel on est en train de souffler, Sa bouche s’agrandit, son nez s’aplatit, ses yeux sont sur le point d’être éjectés de leurs orbites…   

      

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    \ \ \     / / /

    BOUM

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    La tête a explosé. Le vélo, propulsé par la violence de la déflagration, s’est envolé  définitivement. Ce qui reste du corps, lentement, se liquéfie… et se dilue… et disparaît tout à fait.  

    « Hou Hou Hou Hou Hou !!..... Encore un ! Ha ha ha ha ha ! Boum ! hi hi hi hi !  …. ça me rend quand même un peu nerveuse, chaque fois… Hum hum hummeur, meur, meur, meur , meur… »  

    « merde ! con ! chier ! salope ! pute ! »  

    « La connasse, elle l’a eu…..  Merde….  C’est moi qui suis devant, maintenant….. »  

    En silence et le visage blême, elle serre son parapluie aussi fort que les lèvres.   

     

    …  

     

    ..  

     

    .  

     

    ..  

     

    …   

     

    « Salut la compagnie !! Je suis le nouveau !! ça Boume, ici ? »  


  • une chair de bois

     

    La nuit, dans le jardin d'une ancienne maison de pierre.

     

    Dans un grand chêne, à quelques mètres de la maison, sur une solide branche, une femme est assise, en tenue de nuit. Elle caresse l'écorce du tronc et monologue sous la lune.

     

     

              ELLE, mélancolique. - Longtemps, je t'ai envié...

     

    Mais d'abord...

     

    D'abord, comme ce chêne, ce soir, tu m'as portée, sans plier, sans faillir.

    J'ai vécu en toi. Tu as hébergé et abrité, et nourri aussi, mes rêves d'enfant.

    Tu m'as donné envie d'aller plus haut. Tu m'as soutenue.

    Tu m'as permis aussi de sentir comme parfois, au sommet, on peut trembler.

    Tu as été mon refuge.

     

    Et puis ils m'ont fait te quitter.

    Il faut grandir, paraît-il.

    L'enfance ne dure qu'un temps, disaient-ils.

    Je t'ai quitté...

                               … mais toi tu ne m'as pas quittée.

                                                                                                                 Jamais.

     

    Je t'ai senti

    je t'ai mimé

    je t'ai regardé

    je t'ai admiré

     

    C'est là que je t'ai envié.

                                                 Pour ton port de tête

                                                 Pour ta légèreté

                                                 Pour ton élégance

                                                 Pour tes racines terriennes

                                                 Pour ta faculté à tutoyer le ciel

     

    Aujourd'hui tu es toujours là.

                          Tu es en moi.

                          Tu es autour de moi.

    Je te vois.   Je te sens.   Je t'admire.

       Je m'efforce de ne plus t'envier

     

                       Mais je t'Aime

     

    Et je suis toi

                            ou je l'ai été

                            ou je le serai

                                                       un jour,

                                                       une nuit,

                                                        une vie, peut-être...

     

     

    Un homme sort de la maison et s'approche de l'arbre.

     

              LUI. - Tu es là ?

     

              ELLE. - Oui.

     

              LUI. - Tu fais quoi... sur cette branche ?

     

              ELLE. - Je... euh...

     

              LUI. - Tu es pieds nus ?!

     

              ELLE. - Oui.

     

               LUI. - …

     

              ELLE. - ...le contact de l'écorce sur la peau...

     

              LUI. - …

     

              ELLE. - …

     

              LUI. - Tu as vu l'heure ?

     

              ELLE. - Oui.

     

              LUI. - …

     

              ELLE. - …la lune est belle cette nuit...

     

              LUI. - …

     

              ELLE. - …

     

              LUI. - Tu reviens te coucher ?

     

              ELLE. - Non.

     

              LUI. - …

     

               ELLE. - ...je vais rester là, encore un peu.

     

               LUI. - …

     

              ELLE. - …

     

              LUI, commence à s'éloigner puis se retourne. - Tu parlais, non ?

     

              ELLE. - Oui.

     

              LUI. - …

     

              ELLE. - …

     

              LUI. - A qui ?

     

              ELLE. - Au peuplier argenté.

     

              LUI. - Encore ce vieux tronc de ta première maison ?

     

              ELLE. - Oui.

     

              LUI. - ...

     

              ELLE. - ...

     

              LUI. - Tu penses toujours que tu es un arbre ?

     

              ELLE. - …

     

              LUI. - Je retourne au lit.

     

              ELLE. - Je te rejoindrai.

     

    Il tourne le dos et s'éloigne. 

     

              ELLE. - Je t'aime.

     

              LUI, comme pour lui-même, sans se retourner. - mais je ne suis pas un peuplier argenté...

     

    Il rentre dans la maison.

     

              ELLE, comme pour elle-même. - Tu ne sais pas combien tu l'es, en fait... comme je me suis enracinée en toi.Couche-toi, mon amour, je viendrai me réfugier dans tes branches...

     

     

     





  • D'abord la blanche apparition. Légère, fluide, souple.

     

    Puis de l'eau... de l'eau partout... en gouttes délicates et en graves tourbillons

     

    De l'eau encore, en mouvement, un flot... un flot d'émotion - emmenée, embarquée, noyée, naufragée des trombes de notes.

    ...

    Et des silences.

    ...

    suspensions

    ...

    suspendue à ses doigts

    furent-ils dix ?

    furent-ils mille ?

    rapides, légers, volant, glissants, surfant...

     

     

    Grandeur et magie de l'instant

     

                         -silence-

     

    ne plus entendre, maintenant.

     

     pas un mot       pas un son

            pas tout de suite