•  

    Un matin breton, une femme, debout, le visage baigné de larmes et les poings serrés, fait face à la mer, fait face au vent, fait face aux embruns.

    « La sécheresse de mon ventre, incapable de donner la vie, ne suffisait donc pas ? Il t’a fallu me prendre le soleil de mes nuits, le phare de mes tempêtes, l’objet de mon amour le plus pur… »

    Et levant le poing, tel un uppercut dans le vent qui fouette ses joues :

    « Je te défie ce jour !! Et je te défierai demain, et chaque jour après ça. Je viens et viendrai à ta rencontre, m’offrir à ta vue, susciter ta convoitise. Mais lorsque tu penseras m’avoir dans le creux de ta main, alors je me battrai ! Je me changerai en furie et jamais, tu m’entends ? Jamais ne me rendrai !! Chaque goutte de mon sang, chaque cellule de mon corps, nous viendrons te faire face et cracher à ta gueule d’assassin toute la vie qui coule en moi !! Tout ce que tu n’auras pas tant que je ne l’aurai pas décidé ! »

    Ainsi, jour après jour, on pouvait la voir mettre à l’eau son petit voilier, bien léger pour les tumultes de la mer d’Iroise. Mais son énergie, elle, était d’une rare intensité, lui permettant de venir opposer toute sa force vive aux eaux sombres, avec quantité de cris, de larmes de rage, de colère vive. Vive… c’est bien sa colère qui la tenait debout. Pour qui ou pour quoi se battait-elle ? la raison lui échappait parfois, l’espace d’une seconde. Mais bien vite, elle se heurtait au souvenir de celui qu’elle a aimé passionnément. Car tout la ramenait à lui. L’odeur du café frais, les deux bols sur l’étagère, le rasoir près du lavabo, les vêtements qu’elle ne parvenait pas à sortir du placard… Comme autant de piqûres de rappel de son absence. Les souvenirs étaient si heureux, leur histoire si belle, leur amour si grand… à la mesure du désespoir qui commençait à gangréner la jeune femme. Elle continuait de mettre son bateau à l’eau, quotidiennement, sous les regards des villageois, certains compatissants, certains inquiets, d’autres méprisants et moqueurs. Qu’importait désormais la bienveillance ou le mépris. Elle ne les voyait pas, n’entendait pas, prisonnière du bourdonnement assourdissant de la mélancolie.

    Au fil des semaines, au fil des mois, ses forces s’amenuisaient. Quelques voisins venaient lui amener à manger, les restes de leur dîner de la veille ou un plat préparé pour elle. Son corps émacié, sa peau pâlissante les inquiétait. Celles qui furent ses amies, ses compagnes de fêtes, ses partenaires de rire et de danse tentaient de la raisonner, de l’inviter, de l’apaiser, de prendre soin d’elle… mais elle n’écoutait pas, ne répondait pas, les évitait autant que possible. La tristesse venait à bout de sa rage de vivre. Que restait-il de sa colère aujourd’hui ? A peine de quoi pousser son bateau, tenir la barre, tirer sur les cordages pour contenir le vent. Et cela même lui devenait de plus en plus difficile. Vînt un jour où elle pensa un instant ne pas réussir à rentrer. Mais loin de venir réveiller la Vie en elle, elle comprit que l’heure était venue. La décision s’imposa alors à elle de rentrer pour mettre ses affaires en ordre.

    Le lendemain et pour la première fois depuis un an, elle ne descendit pas son voilier à la mer. Elle employa sa journée à écrire une dernière lettre, remerciant les uns, présentant des excuses aux autres, expliquant enfin son choix de partir rejoindre au fond de l’eau celui sans qui elle ne parvient à survivre.

    Elle rangea toutes ses affaires, et les siennes à lui. Un frisson parcouru son échine quand elle y toucha. En un an jamais elle n’avait osé. Méthodique, elle rassembla les vêtements, les objets et disposa plusieurs paquets, déposa sur chacun une feuille avec un nom. Les vêtements iraient à Yann, l’ami pêcheur, et à Marie, l’amie d’enfance, les photos à sa sœur Katell, les outils à Erwan, le frère, etc. Seul un cadre de rejoint aucune des piles. C’était leur photo de mariage. Elle la sortit de sous le verre et la glissa sous son corsage, contre sa peau et se coucha éreintée.

    Elle dormit peu mais profondément. En paix avec son choix, prête à quitter pour toujours l’enfer de solitude où une tempête l’avait jetée. Elle s’éveilla avec les premières lueurs du jour. S’asseyant sur le bord du lit, lui revint le rêve qu’elle venait de faire. Dans son sommeil, elle avait revécu sa noce mais d’une manière bien étrange… Le serment prononcé était sans mots. Leurs bouches émettaient des sons mélodieux angéliques, proche du chant des baleines. Les anneaux échangés étaient des algues, vivantes, entourant non seulement leur annulaire mais la main toute entière puis l’avant-bras, jusqu’au coude. Enfin, elle s’était vue danser avec son mari, mais celui-ci peu à peu s’était changé en monstre. Il avait le même visage, les mêmes traits marqués par la dureté de son métier, le même regard aimant. Mais son corps… ses jambes d’abord puis ses bras se muaient en tentacules, longues, mouvantes, enlaçantes, caressantes… curieusement, elle réalise en y repensant combien cela lui semblait normal et même plaisant. Elle se laissait aller à cette danse enivrante, perdant toute notion de haut et de bas, de faisant qu’un avec son époux tentaculaire, auquel elle s’abandonnait volontiers, corps et âme.

    Il lui fallut plusieurs minutes pour retrouver ses esprits et parvenir à se mettre debout. Commençait ainsi le dernier jour de sa vie, espérant que ce soit aussi le premier d’une nouvelle non-vie, éthérée, éternellement unie à Lui. Elle revêtit ce qu’elle avait de plus beau dans sa garde-robe, la blanche tenue revue en rêve. Elle glissa à nouveau la photo contre sa poitrine et s’en alla lutter dans le vent glacial de l’aube naissante.

    Le ciel semblait avoir hérité de toute la colère dont elle était libérée. Le vent hurlait froid et violent, la pluie cinglait le visage, les flots s’élevaient en vagues de plus en plus hautes. La tempête faisait rage mais elle avait appris à naviguer toute petite et dompta la cruelle Iroise des heures durant. Elle avait décidé de s’offrir à elle loin des côtes. Que la violence des lames attaquent Ar-Men, les pierres noires, les chalutiers, qu’elles engloutissent sa coque de noix, elle mourrait en jurant de toutes ses forces que l’amour pour son homme traverserait les âges, traverserait la mort !

    Soudain, une déferlante brisa le mât et la jeta au sol. Sa tête heurta la barre. Elle perdit connaissance…

     

    ***

     

    La voilà, la vague sublime !  

    Elle la sent poindre tandis qu'elle danse. Une créature aux mille bras, aux mille mains, aux mille langues la fait valser à en perdre la raison. La multitude de bras lui rappelle les tentacules du Kraken, mais cette fois-ci, il ne porterait que la petite mort. Couverte de caresses brûlantes, portée, tirée, titillée, pincée et enfin pénétrée, elle s’abandonne à la valse érotique enivrant ses sens. Le corps mêlé à la créature infiniment sensuelle et enveloppante, oui, la vague s’annonce… les fourmillements gagnent ses doigts et ses orteils, remontent le long de ses bras et de ses jambes, atteignent ses lèvres, sa langue… et soudain du creux de ses reins, du cœur de son sexe, dans un éclat fulgurant, explose l'orgasme magnifique, dans un cri et accompagné d’un spasme violent secouant le corps tout entier.

     

    *** 

     

    ...Elle ouvre un œil. La lumière l’éblouit. Elle referme sa paupière. Entre ses cuisses elle sent battre son clitoris de ces pulsations qui succèdent au climax. Puis c'est le froid qui attire son attention, un froid humide contre sa joue. S’éveillant peu à peu, elle sent ce froid mouillé sous son corps tout entier, allongé là. Et dans le même temps, elle ressent une chaleur, non, une brûlure intolérable, sur sa peau et jusque dans ses creux les plus intimes.  

    Incrédule et intriguée, douloureuse, elle rouvre péniblement un œil, puis l’autre. Elle repousse le sol et se hisse sur ses mains au prix d’un effort terrible. Mais la douleur de la brûlure a raison d’elle et son corps s’effondre à nouveau sur le sol. Elle peut voir à présent. Son corps gît sur une plage, c’est du sable humide qu’elle sent sous elle. Au loin, une courte dune et le toit d’une maison juste derrière. Rassemblant toutes ses forces, elle se courbe pour voir ses jambes et se découvre nue, mais sans reconnaître sa peau. Celle-ci d’ordinaire si pâle arbore quantité de ronds rouges légèrement gonflés, les probables responsables de sa douleur. Elle connaît ces tâches-là, en a soigné sur des enfants imprudents ou des marins échoués. Ce sont les marques des ventouses d’un calmar. Sons sang se fige, tout lui revient en mémoire dans un éclair : la soirée de préparatifs, le rêve, le départ vers la mort, la chute et à nouveau ce même rêve. Elle n’ose croire pourtant à ce qui s’impose à elle. Perdue dans ses pensées et le mouvement de panique qui naît du scénario irréel qui se dessine, elle n’a ni vu ni entendu le couple qui s’est approché et lui parle. Seules leurs mains la ramènent à la réalité des mille brûlures. La douleur lui fait à nouveau perdre connaissance. Elle ne voit pas le ciel qui défile, l’intérieur de la maison, elle ne sent pas le lit dans lequel on l’installe délicatement et les onguents dont on la couvre. Elle n’entend pas la voix du médecin qui confie ses recommandations aux bienfaiteurs. Qu’en aurait-elle compris, de toute façon ? Elle ignore le gaélique.

    Il fallut plusieurs jours pour qu’elle émerge de son sommeil comateux. Elle découvrit la femme qui la nourrissait, la lavait, soignait ses blessures. Elle entendit avec curiosité ces mots qu’elle ne comprenait pas. Il fallut encore des semaines pour qu’elle recouvre assez de forces pour poser le pied à terre. Elle partagea les repas avec ce couple de vieux aux yeux rieurs et aux sourires bienveillants. Ils la rassuraient, lui permettaient d’oublier son passé, son histoire, la nuit qu’elle avait traversé et dont elle était revenue, sans explication. Au fur et à mesure qu’elle retrouvait de l’énergie et de la force, elle put participer à la vie de la maison, venant soulager un peu la vieille femme de ses tâches quotidiennes. Cependant, elle restait bien faible, tantôt assommée par la fatigue, tantôt secouée de brusques nausées, tantôt vacillant sous un malaise. Heureusement, et sans savoir pourquoi, ses maux s’éteignirent, quasiment du jour au lendemain. Cela faisait trois mois déjà qu’elle avait été recueillie. Elle commençait à parler sa langue d’adoption, reprenait du poids et se sentait doucement revivre.

     

    ***

     

    Les vieux se sont éteints depuis longtemps, ils reposent côte à côte sous une modeste croix nimbée délicatement sculptée. Mais leur maison est toujours ouverte. Elle abrite une femme aux cheveux grisonnants, qui parle avec un discret accent étranger. La voilà sur le pas de la porte, le regard perdu au loin, au-dessus des flots calmes. Elle attend le retour de son fils, marin parti affronter la mer, à l’image de tant de jeunes hommes d’ici.

    Les habitants du village se méfient d’elle. Ils lui prêtent des dons de sorcellerie. Personne ne l’a jamais vue jeter de sort ou pratiquer quelque rite inquiétant. Elle est toujours courtoise, bien que discrète, mène une vie simple, vit chichement de la vente des quelques légumes que la terre lui offre.

     

    Mais une rumeur court à son sujet. A voix basse et hors de sa vue, on parle des origines obscures de son fils. Il se dit qu’il serait né de l’union de la femme mystérieusement apparue sur la plage… et du Kraken.

     

     

     


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    -  Chapitre 1  -

     

     

    -          - Chérie ! Tu es là ?

    -          - Oui, oui, je suis ici, à la…

    -          - Ah ! Te voilà. Bonsoir, ma belle.

           -   - Bonsoir, mon…

    Il l’embrasse tendrement et poursuit :

    -           - Que fais-tu ?

    -         - Je fonds la peau des rangements, j’en ai assez de cette décoration insipide ! Regarde, j’ai acheté cette rouge-ci, à la place. Qu’en … ?

    Il fait la moue mais elle reprend :

    -          - Dès que j’aurai fini de fondre, je passerai l’apprêt puis déposerai la… Je suis sûre que ce sera très…

    -          - Que ce serait.

    -          - Que … ?

    -          - Serait, que ce serait très bien.

    -          - Pourquoi serait ? Ce sera … !

    -          - 

    -          - Qu… ?

    -         - … Tu sais bien ce que je veux dire… C’est fantastique toutes ces envies, tous ces projets, ta créativité est certainement ce que j’aime le plus en toi ! Mais ma chérie, tu sais aussi que jamais un de tes projets ne voit le jour.

    -          - Je refuse de croire que c’est une… ! Je sens que cette fois je parviendrai à aller jusqu’au bout, que je…

    -         - … ma belle, je t’aime plus que tout mais il y a une chose que je n’attends plus, c’est que tu arrives un jour au bout de quelque chose. Même tes phrases ne sont jamais complètes. Comment penses-tu encore pouvoir échapper à ta destinée ? Tu sais bien, pourtant, dans quel monde nous vivons et qui nous sommes.

    -          - Je ne sais pas, je… J’ai envie d’y croire, je… Oh, mon amour, ne me laisse pas devenir une de tes causes perdues, une…

    Une larme perle et coule le long de sa joue.

    -           - … D’accord.

    -           - D’accord ? Que veux-tu… ?

    -           - Oui, j’attendais le bon moment pour t’en parler. Je crois que maintenant est un bon moment.

    -          - Je ne…

    -          - Viens avec moi.

    Il lui prend la main et l’emmène.

    -          - Où… ?

     

    -           - Viens. Tu verras.

     

     

     

    -  Chapitre 0  -

     

     

                    Une collection de commencements, voilà ce qu’était sa vie. Depuis son assignation, son existence était faite d’espoirs et de projets, d’imagination et de planification. Elle était en mouvement vers l’avant. Un mouvement perpétuel à l’énergie infinie.

                    Infinie. Ce mot aussi pouvait la définir. Car malheureusement son don de créativité était assorti d’une incapacité à achever quoi que ce fût.

                    La sorcellerie maïeutique du déterminisme individuel psychosocial par assignation prénominale était en effet d’une redoutable efficacité… Or, passés ses trois jours de vie, le prénom qu’on lui assigna fut Procrastina. Le prénom et la vie que celui-ci lui promettait.

     

                    Mais chanceuse, des années plus tard, son chemin croisa celui d’un certain Jude, au destin lui aussi tout tracé. Un Jude bienfaiteur qui devint son époux, et qui allait changer sa vie.

     

     

     

     

    -  Chapitre 2  -

     

     

                    Il a stoppé l’automouvante après vingt minutes de transfert silenceux. Au contact de la main de jude, une large porte s’ouvre sur un long couloir, vide et immaculé.

    -          - Que faisons… ?

    -          - Fais-moi confiance.

    Au bout du couloir, il frappe trois coups secs à la dernière porte. Celle-ci s’ouvre aussi sèchement, sur une femme en blouse blanche, qui fait immédiatement volte-face, Jude lui emboîtant le pas. Procrastina, médusée, observe la grande salle immaculée remplie de pièces de métal, de calculateurs, de conduits en verre, et qui sent l’huile, la limaille et le pétrole.

    -          - Alors ? Elle est prête ? Demande Jude à la femme en blouse. C’est le moment, elle doit être prête.

    -    - Je termine de l’alimenter en Robovitam A et elle sera opérationnelle. Par contre, nous avons eu un léger souci avec le thermomoulage du revêtement surpeaucier semi-rigide. Voyez vous-même, au niveau de l’épaule gauche.

    -          - Ce n’est rien, une minute de thermolisseur et il n’y paraîtra plus rien.

    Se retournant, Jude aperçoit sa femme, immobile et coite, sur le seuil du laboratoire.

    -          - Procrastina, ma chérie, approche, voyons ! J’ai quelqu’un à te présenter.

    Il tend une main, dans laquelle Procrastina glisse doucement la sienne. Elle interroge son mari du regard et il reconnaît une curiosité empreinte d’inquiétude. Il la serre alors contre lui, d’un bras rassurant, doux et ferme. Puis, ayant renvoyé l’assistante, il déclare, théâtral, dans un large mouvement de son bras libre :

    « Ma chérie, je te présente Terminatora ! »

    Devant eux se trouve une femme, ou plutôt une chose à l’apparence et la taille d’une femme.

    -          - Vois-tu, reprend-il avec le même ton emphatique, Terminatora est le dernier robot de mon invention. Comme tu peux le constater, elle a forme humaine, pour plus de convivialité, mais elle répond surtout à un programme informatique précis, spécialement conçu… pour toi.

    -          - Pour… ? Mais que… ?

    -          - Ce robot androïde, je l’ai déterminisé Terminatora car il est programmé pour achever tout ce que tu commences, pour réaliser tout ce que tu remets à un plus tard chimérique. D’ailleurs, nous allons vérifier tout de suite son bon fonctionnement !

    Jude se penche vers le dos de l’androïde, opérant une manipulation qui échappe au regard ému et larmoyant de sa femme. Elle sourit et ses lèvres tremblent d’émotion :

    -         -  Mon amour, c’est…

    -          - FOR-MI-DABLE

    Procrastina sursaute, lève le visage vers la voix métallique et ajoute, fébrile :

    -          - Oui ! c’est ça ! c’est exactement ce que je voulais dire ! Oh Jude... C’est merveilleux, tu es merveilleux, je suis la femme la plus…

    -          - HEU-REUSE

    -          - Merci, Terminatora.

    Jude sourit. Procrastina se jette au cou de son mari, qui l’enlace tendrement. Elle pleure de chaudes larmes de joie.

     

     

    Tous deux savourent en silence les perspectives nouvelles qu’offrent à leurs esprits l’audace d’avoir su hacker le déterminisme du Nouvel Ordre Mondial.

     

     

     


  • une Vie une Vie une Vie

     

    J'ai épousé la vie quand la mort m'a embrassée,

    De la froide accolade a jaillit la lumière.

    La dame en noir m'enracinant plus que nul autre dans le jour

    Alors que j'errais dans la nuit et le brouillard.

    Désormais arbre et herbe,

    Je suis chêne et je suis roseau,

    Souple et solide, je monte, je m'élève,

    J'aspire, je crois, je croît, je grandis,

    Je vise le ciel, vois le ciel et bois la pluie

    Je vise le ciel

    Je vis dans le ciel

    Je vis

    je, Vie.

     


  •                                         

     

     

    Nuit de brume irréelle,

    Dame noire froideur

    A embrassé son cœur,

    A révélé ses ailes.

     

    Tout de bois et debout,

    Goûtant l’air et la boue,

    Il s’envole immobile,

    Icare de chlorophylle.

     

    Il est ailes et à elle

    Elle à lui est venue

    De blancheur ingénue

    Mais jamais ne s’effraie.

     

    Leur vie devenue fête

    Le voici dans le vent,

    A qui veut bruissonnant :

    « Geai d’la veine, elle est chouette ! »


  •  

    « L’art, ce consolateur des misères humaines » François Ponsard

     

     

     

     

     


     

    Du point de vue biologique, il n'y a pas de discontinuité au phénomène vivant, une bactérie donne naissance à deux bactéries filles en se divisant (scissiparité), une cellule sexuelle produite par le père (spermatozoïde) fusionne avec une cellule sexuelle produite par la mère (ovocyte au stade II ou ovule au sens large ou cellule œuf au sens strict) pour donner un zygote ou œuf fécondé (œuf au sens courant mais inexact) qui a toutes les capacités (potentialités (potentia = la puissance en latin), compétences, on parle de cellule omnipotente, capable de donner le tout (omnia en latin)) pour se diviser et donner un individu complet par des mécanismes souvent décrits en termes indissociables de croissance et de développement. Mais cette absence de discontinuité, cette transmission de la vie (chaîne ininterrompue et d'autres métaphores du même type) n'empêche pas que l'individu, la personne humaine, comme la bactérie, présente par contre un début et une fin. L'individuation n'est pas vraiment une question biologique, même si la biologie permet de préciser les moments décisifs de la vie d'un individu. La phase de maturité en biologie est souvent assimilée à l'acquisition de la compétence reproductrice ou puberté. Vient ensuite une phase de sénescence qui, si elle est assez clairement établie du point de vue social l'est beaucoup moins du point de vue physiologique. De la même manière, la mort peut souvent être définie comme un arrêt cardiaque définitif, mais nécessite des définitions plus subtiles dans certains cas de coma. Actuellement, la mort est considérée comme légale dans les cas litigieux si on obtient deux électroencéphalogrammes plats à plus de 30 min d'intervalle, et ce, même si le cœur, assisté, continue de se contracter et si les poumons, en assistance respiratoire, continuent d'effectuer les mouvements d'inspiration-expiration.

     


     

     

     

     


    Au commencement, il y avait un dixième de millimètre de tout. Au commencement, il n’y avait rien. Ou presque. Deux gamètes qui fusionnent, tout au plus un dixième de millimètre. Et dans ce presque rien… tout. Tout un monde de possibles, tout un monde de vie, tout un monde de fonctionnement, d’organisation, de coopération, tout un monde de rêves, aussi, toutes émotions, toutes sensations, toutes pensées.

    A partir de quoi c’est la pente ascendante, l’émerveillement. Les chromosomes mêlés se reconnaissent, s’assemblent, puis migrent, et c’est la première division. Deux cellules n’en ont fait qu’une, et vingt heures plus tard, les voilà à nouveau deux. Mais pas les mêmes que les deux du départ, voilà deux cellules identiques formant le début d’un organisme pluricellulaire. Deux, et bientôt des dizaines, des centaines, des milliers, des millions, des milliards… Des spécialisations, des différenciations, chaque cellule assurant un rôle pour le bon fonctionnement de l’organe ou du système auquel elle appartient, pour le maintien en vie et à l’équilibre de l’organisme auquel ledit organe ou système appartient.

    Au commencement,  il y avait une cellule unique, un œuf fécondé, d’un dixième de millimètre.

    Neuf mois plus tard, déjà vingt-six milliards de cellules différenciées.

    Et la magie continue d’opérer, à vingt-six milliards de collaborateurs. La reproduction cellulaire se poursuit, l’organisme continue à gagner en taille, acquiert de nouvelles compétences, les cellules cérébrales s’organisent, de la mise en place de réseaux d’apprentissage à la maturation des systèmes de transmission d’information. C’est l’ère du Plus : plus rapide, plus grand, plus complexe, plus fort… plus efficace. L’organisme a optimisé le rendement énergétiques : il absorbe, il brûle, il transforme, il stocke, il déstocke, il élimine. Le fonctionnement est rôdé et l’organisme est tout à sa croissance.

    Le début monocellulaire d’un dixième de millimètre est loin…

    Arrivé à maturité, l’organisme est composé de soixante mille milliards de cellules, différenciées en deux cents types, toutes œuvrant dans le même sens : le maintien de la vie, de l’équilibre de l’organisme et à présent aussi sa reproduction. Et dans ce mouvement pour la vie, chaque jour, deux cents milliards de ces cellules meurent pour être remplacées par autant de nouvelles.

    C’est dire que chaque femme et chaque homme porte en elle, en lui, la magie d’une architecture d’une complexité impensable, soixante mille milliards d’unités, chacune ayant en elle sa propre structure, ses organes, ces cycles de vie, de reproduction et de mort programmés, ces soixante mille milliards fonctionnant en harmonie, en cohésion, en synergie et en collaboration pacifique.

    C’est sidérant de beauté, de magie, de mystère, de fluidité, c’est aussi simple que complexe, c’est aussi insensé qu’évident de sens.

     

    Plus tard vient la sénescence. La dégradation naturelle, normale et programmée de l’organisme. Passé l’âge de la puissance reproductrice, l’organisme laisse place à ses suivants, à l’image de ses propres cellules, à une autre échelle. La sénescence, donc : renouvellement cellulaire moins rapide, organes / systèmes / tissus moins efficients, transmission d’informations moins efficace, multiplication des petits dysfonctionnements, jusqu’à arrêt complet du système.

    - mort -

    Naissance, vie, mort. Pourvu que se transmette la Vie.

     

     

     


     

     

     


    E
    t puis il y a le cancer. En marge de cette admirable et époustouflante capacité d’homéostasie, la chienlit fatale, le déséquilibre létal, le grain de sable qui flingue les rouages.

    Une cellule se met à dysfonctionner. Modifiant sa prédestination, elle ne mourra pas et au contraire se reproduira sans cesse.

    Elle a muté, n’a plus d’identité différenciée, n’a plus de rôle à remplir dans l’organisme. Devenue insensible aux signaux extérieurs qui devraient réguler sa vie et sa mort, elle se multiplie, créant un groupe à son image, les cellules mutées, parasites et colonisatrices. Tout le groupe se met à se multiplier, sans ordre, sans loi et sans limite.

    Et comme perturber le fonctionnement de leur propre organe, système ou tissu est insuffisant, les voilà colonisant toutes zones avoisinantes. Et plus encore, certaines se laissent porter et transporter par le sang, par la lymphe, et ces flots intérieurs leur offrent de nouveaux lieux de propagation.

    Ainsi, peu à peu, ce sont tous les organes de l’organisme qui sont affectés. L’homéostasie n’est plus. La beauté de la synergie, de la collaboration pacifique n’est qu’une chimère. L’organisme est soumis au règne de l’anarchie, de la domination, de la colonisation…

    L’homéostasie n’est plus. Le souci premier et commun du maintien de la vie a disparu. Le sens a failli.

    La suite vient logiquement.

    La suite, la fin prématurée de l’organisme, la défaite de la Vie.

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

    …et soudain réaliser qu’à l’échelle de l’humanité, le schéma est le même….

     

     

     

    …que la synergie pourrait…

     

     

     

    …mais que le cancer est…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    …et que le cancer de l’humanité…. C’est l’homme…

     

     

     

     

     

    Que sans l’art,

    sans la lumière,

    sans la joie,

    sans l’amour,

    sans l’amitié,

    sans la musique,

    sans la poésie,

    sans la danse,

    sans la littérature,

    sans les photos…

     

    …nous ne serions rien d’autre que nos propres bourreaux.

     

     

     

    Que sans Langueur,

    sans Beauté,

    sans le rai de lumière sur le bureau,

    sans le rouge des érables de l’avenue du 11ème,

    sans l’Evidence,

    sans le quand de l’éloquence,

    sans Sensation,

    sans Jiri Kylian,

    sans Corps et âme,

    sans marathoff,

    sans les vibrations musicales…

     

    …je ne serais que larmes…

     

     

     

     

    … soixante mille milliards de larmes…

     

     

     

     

     

     

     

     


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    L’inspecteur se laisse tomber sur son fauteuil de bureau, exténué. Ses jambes ne le portent plus. Les bras ballant, les yeux rougis par le manque de sommeil, il contemple le fruit de son travail. Aujourd’hui encore, il a relu, synthétisé, compilé les cinq dossiers énigmatiques. Devant lui, cinq photos de scènes de crime et cinq fiches :


     

    Date : 27 avril

    Description de la scène de crime :

    Homme, 55 ans, retrouvé mort à son domicile, au milieu du salon, nu, éventré, des boyaux tendus entre les orteils de son pied droit et le côté gauche de son cou, fixés à la peau par des vis ; les dix doigts sectionnés ; une corde près de la main droite, un fil de métal près de la main gauche.

    Conclusion du rapport d’autopsie :

    L’éventration est nette, seul l’intestin grêle est manquant, sectionné à ses deux extrémités. C’est l’intestin de la victime qui a été retrouvé fixé sur son corps, découpé en quatre parties de longueur égale. Les doigts de la main droite ont été sectionnés par un crin de cheval, dont est composée la corde trouvée près de la main. Les doigts de la main gauche ont été sectionnés par une fine corde d’acier telle que celle trouvée près de la main. Le décès a été causé par l’hémorragie provoquée par l’éviscération.

     

     

     

    Date : 6 juillet

    Description de la scène de crime :

    Homme, 62 ans, retrouvé mort à son domicile, au milieu du salon, nu, la bouche fermée, les joues déchirées, les dix doigts coupés, un tube de cuivre près de la main droite.

    Conclusion du rapport d’autopsie :

    Au niveau de la tête, les lèvres ont été collées l’une à l’autre avec de la colle utilisée par le corps médical en substitut des sutures. Les narines ont été fermées de la même manière. Le décès fait suite à une asphyxie. Les plaies aux joues sont ultérieures au décès. Elles ont été transpercées par un tube de cuivre correspondant à celui retrouvé près du corps.

     

     

     

    Date : 16 juillet

    Description de la scène de crime :

    Homme, 58 ans, retrouvé mort à son domicile, au milieu du salon, nu, les bras sectionnés, les yeux crevés et la bouche béante.

    Conclusion du rapport d’autopsie :

    Les membres supérieurs ont été amputés nettement. Les globes oculaires ont été crevés par un objet cylindrique en bois, d’environ 5mm de diamètre. L’œsophage est encombré par une boule de papier. Le décès a été causé par l’asphyxie liée à l’obturation des voies aériennes.

     

     

     

    Date : 25 septembre

    Description de la scène de crime :

    Homme, 46 ans, retrouvé mort à son domicile, au milieu du salon, nu, les jambes ouvertes dans le sens de la hauteur, un disque de peau arraché du torse, les mains et les pieds coupés, une barre de bois clair posée près de chaque bras.

    Conclusion du rapport d’autopsie :

    L’homme a été écorché minutieusement sur la face antérieure et postérieure du buste, de deux disques de 35.6 cm de diamètre. Au niveau de chaque jambe, une incision longitudinale, latérale externe, profonde et nette. Les péronés ont été enlevés. Les barres de bois retrouvées près du corps se sont révélées être en fait des os appartenant à la victime, ses péronés, poncés pour effacer la forme naturelle de l’os. Les mains et les pieds ont été sectionnés par écrasement, par des coups répétés jusqu’à dislocation des tissus.

     

     

     

    Date : 17 octobre

    Description de la scène de crime :

    Homme, 37 ans est retrouvé sans vie à son domicile, au milieu de son salon, nu, les dix doigts coupés et le corps tuméfié, un marteau noir près de la main droite, un marteau blanc près de la main gauche.

    Conclusion du rapport d’autopsie :

    La tuméfaction a été causée par 88 coups de marteau, sur les bras et le torse. Le décès fait suite aux hémorragies internes provoquées par les lésions liées à ces coups de marteaux sur différents organes.

     

     

     

     

     

     

                    Cinq fiches, cinq photos, mais toujours pas une seule piste… Las, il rassemble ce qui lui reste d’énergie pour se redresser péniblement et éteindre sa lampe de bureau. Les morts attendront un jour de plus. Il parvient à se lever puis rejoint d’un pas lourd le hall du commissariat. Il salue le collègue à l’entrée d’un vague signe de tête et sort dans la rue. Il fait froid, la nuit s’annonce, le vent se glisse dans l’ouverture du col de sa chemise. Même le temps est déprimant… Cinquante mètres plus loin, le cuir de sa voiture l’accueille mollement. Il soupire, reste une minute prostré, immobile. Finalement il démarre et s’engage sur la chaussée, mais un motard vient lui couper la route et le sortir de sa torpeur. Les gesticulations du motard semblent hurler les insultes inaudibles à travers son casque et la vitre de la voiture de l’inspecteur désabusé. « Connard…. », maugrée-t-il en passant la seconde. Une minute et deux feux rouges plus loin, il commence à savourer l’idée de repos qui s’annonce et imagine la bière qu’il va ouvrir, le match sans intérêt devant lequel il va s’assoupir. Alcool et lobotomie pour trouver un peu de répit. La pluie qui commence à tomber interrompt sa rêverie et le prospectus prisonnier du balai d’essuie-glace achève de lui rendre son humeur massacrante. . « Les doigts agiles », la nouvelle école de musique de la ville. « Fait chier !!… » mais tant pis, le prospectus continuera de faire des arcs de cercle. L’inspecteur se penche à droite pour voir la route là où les essuie-glace… essuient la glace.

    Il se gare devant la porte de sa maison. Les lumières sont allumées, il devine les silhouettes de sa femme et de son fils. L’inspecteur prend une minute pour tenter de redevenir mari et père et laisser derrière lui la sauvagerie des corps mutilés dont il a saturé ses rétines toute la journée, comme la précédente, celle d’avant et celle encore avant. Louable tentative, mais l’odeur de la mort est tenace.

    Dès le seuil, il est accueilli par le tonique « Salut, toi ! » au sourire lumineux de son épouse visiblement joyeuse, qui vient de l’embrasser rapidement. Il s’efforce de lui laisser croire qu’il s’intéresse à ce qu’elle commence à raconter à toute allure, des mésaventures de sa journée trépidante. Une nouvelle scène de ménage est au-dessus de ses forces. Entre deux « hum » distraits mais suffisants, il saisit une bière dans le haut du frigo, en remarquant le léger tremblement de ses doigts. La bouteille tant attendue dans une main, le décapsuleur dans l’autre, la tv et le canapé en ligne de mire, son projet du soir est sur le point de se mettre en place…

    « Papaaa !!! »  Un garçon de neuf ans vient de le percuter par derrière et manquer de lui faire heurter le montant de la porte.

    «  Papa ! Papa ! Ecoute ça ! Je l’ai appris aujourd’hui à l’école de musique ! »

    Une moue grimaçante lui échappe quand une pensée fugace traverse son esprit. Il le revoit tout le pathétique de l’homme éreinté qui préfère conduire penché plutôt que descendre enlever un bout de papier détrempé…

    « Papa ? » questionne le regard bleu. « Oui, pardon, vas-y, mon grand, je t’écoute. » Le garçon porte l’embouchure dorée à ses lèvres écarlates, inspire bruyamment par le nez, gonfle les joues… et sort un son strident et insupportable de son instrument. Passées deux, trois mesures, la mélodie est toujours à peine identifiable, si tant est qu’il y en ait eu une un jour... ça devient intolérable. Le père si aimant s’entend cependant penser, malgré la fierté de son garçonnet « Bon Dieu de merde, mais c’est de la torture ! Pourquoi il maltraite mes tympans et cette innocente trompette ??… mais coupez-lui les doigts !!!! »

    ….les doigts et les lèvres… pour une trompette…

     

     

    Le voilà qui blêmit tout à coup… fait volte-face, et sans un mot, sans un regard pour femme et fils sidérés par son étrange comportement, traverse la maison en courant, arrache le papier du pare-brise, démarre en trombe et fonce au commissariat en criant des « Putain ! Putain ! Putain !!!! »


     

     

     

    ~~~

     

     

     

     

    Dans la pénombre silencieuse de la maison cossue qui abrite école et logement, un homme se sert un verre de vin. Il va au salon et le pose sur un guéridon. Il s’approche alors de la platine, en ouvre le capot, saisit délicatement le bras du tourne-disque et le lève de deux centimètres. Le disque commence à tourner. Il amène le bras vers la gauche et avec précaution, le redescend jusqu’à ce que le diamant vienne se poser dans le sillon. Le disque commence à chuchoter quand l’homme referme le couvercle. Il s’approche du guéridon, saisit son verre dans la main gauche, l’approche de son nez, ferme les yeux et hume le délicieux nectar. Douceur immédiatement interrompue par les accords tonitruants de l’ouverture de la cinquième symphonie de Beethoven. La musique, la grande musique, la seule musique valable emplit tout le volume de la pièce, résonne dans la maison, vibre dans le corps. Un sourire naît aux coins des lèvres de l’homme, puis un rictus, et bientôt c’est un rire bruyant qui le secoue, un rire conquérant, un rire triomphant, un rire agressif et fier, victorieux et satisfait. Peu à peu, les secousses diminuent et l’homme vient prendre place solennellement dans le grand fauteuil. De là, il peut embrasser la pièce entière du regard. Et contempler la magnificence de son œuvre achevée.

    Face à lui, au milieu du salon, un piano, un violoncelle, une trompette, une batterie et un pupitre sont disposés, immobiles et seuls, comme en attente de joueurs. Et malgré les apparences premières, les musiciens auxquels ils ont appartenus sont là, en fait, eux aussi.

    L’homme réprime une nausée en pensant « musiciens ». Les médiocres…

     

    Et en effet, sur le mur du fond, cinq cadres dorés côte à côte, sous de subtiles lumières, ont été méticuleusement alignés, un à un, avec les instruments et le pupitre de chef d’orchestre. A l’intérieur, répartis selon leur appartenance à chacun des méprisables imposteurs qui désormais et grâce à lui ne feront plus honte à la Musique, trente doigts, deux mains, deux pieds, deux bras, deux disques de peau et une paire de lèvres.

     

     

     

     

    ~~~

     

     


  •          

    …puisqu’il est dit que le vent me portera…

     

     Mains sans clés, sac sans papiers, poches sans argent, aller sans retour. De bonnes chaussures aux pieds et la voile, sur le dos.

    L’ascension commence sur terre. Marcher, monter, grimper, vers le sommet. Une ascension solitaire, en prélude au vol solitaire… à l’image d’une vie solitaire.

    Voilà. Le sommet. Instant de contemplation….

    Que la vue est belle… nature sauvage, rude par-ici, douce par-là, attirante, accueillante, effrayante… La lande de bruyère, devant, dessine une couverture moelleuse aux collines millénaires. A droite, la forêt, chérie, sillonnée, explorée, photographiée… à gauche, on ne peut qu’imaginer les falaises de granit se jetant dans la mer, en proie aux tempêtes et aux naufrages. On les imagine car elles sont masquées par les pâturages, les champs et les villages. Que de petites choses masquent l’essentiel.

    Là-haut… quelques stratus soulignent l’intensité bleue, qui bientôt virera à l’or, au rose, à l’orange, au rouge et enfin au noir… Il sera beau ce noir, car il sera libre, enfin. Et léger. Silencieux. Le noir omniprésent accueillant l’absent.

    Les pieds au sol, mais déjà la tête dans le ciel. Le vent fouette le visage et fait danser les cheveux.

    Comme il me tarde d’y être…

    Je pose donc mon sac. J’en sors la voile, la déplie, la vérifie… Le vent ne me facilite pas la tâche pour l’instant. Je bataille un peu contre lui, avant de me confier entièrement à ses invisibles mains.

    Tout est en place à présent. Il est temps de me préparer.

    D’abord, je me déchausse. Pieds nus, voilà. Je veux sentir le sol. Je veux sentir l’herbe que je foule. Je veux être pleinement présent pour chacune de mes sensations, en cet instant solennel. Je veux sentir la terre que je laisse.

    J’ôte ensuite mes vêtements. Peu à peu, je libère mon corps et expose ma peau au soleil et à l’air. Je n’emporterai rien d’inutile. Que me faut-il pour ce voyage-ci, sinon la peau à quitter et mon superbe véhicule ? Les yeux fermés, la tête légèrement basculée vers l’arrière, les bras un peu écartés, paumes vers le ciel, je hume, je sens, je ressens. Je n’ai jamais été plus présent. Je n’ai jamais été plus vivant, malgré le vide. Il y aurait presque un goût de bonheur dans cet instant d’une grande pureté.

    Tout est bien. Je suis prêt.

    La voile qui va m’emmener est grande et belle. La toile est bleue, un bleu sombre et profond. Les suspentes et le harnais d’un blanc immaculé me porteront au plus loin et au plus haut. Ce sera son premier vol.

    Me voici attaché. Dominant la pente, je me lève en tirant les suspentes. Soudain, le vent s’engouffre. Ça y est ! Je tire encore, pour arrondir mon ciel sombre, et je fais quelques pas vers la pente. Je commence à courir, quand le sol se dérobe.

     

    …je m’envole…

     

    Cette sensation est inégalable. L’apesanteur, la suspension, l’altitude, la vue, l’air frais, la liberté !

    Les années de pratique assidue et d’apprentissage méthodique me permettent de trouver rapidement des courants ascendants. Monter, encore, toujours plus haut, toujours plus loin. Les stigmates de l’activité humaine s’amenuisent à mesure que le sol s’éloigne. Le paysage gagne en douceur. J’ai rapidement atteint la mer, dont je ne distingue plus les mouvements.

    Je fais face au soleil, je le cherche, je le vise, je le poursuis.

    Il n’est de fin plus enviable que celle que je me suis choisie aujourd’hui.

    Ebloui par la lumière, je me fonds dans les hautes strates de l’atmosphère. Il n’y a plus de voile, il n’y a plus de sangles, il n’y a plus de haut et il n’y a plus de bas, il n’y plus de corps, il n’y a plus de sensation, il n’y a plus…

    Seule demeure la paix.            Telle est ma nouvelle demeure.

     

     


  •      

    -- SERVI(abi)LITÉ -- 

     

      

      

    Maître,

    O Maître,

    Tu es,

    Tu dis,

    Tu dictes,

    Tu énonces,

    Tu annonces : 

    « Ce soir, il fait sombre. Sois une lampe ! »  

     

                   Et une lampe apparaît,

                   Les yeux se font lumineux,

                   Les paupières figées,

                   Les larmes abondantes menaçant l’intégrité de ton plancher précieux, Maître…  

     

    O Maître,

    Toi qui es,

    Toi qui dis,

    Toi qui dictes,

    Toi qui énonces,

    Toi qui annonces : 

    « C ’ est assez. Ne sois plus lampe. »  

     

                   Et la lampe n’est plus.

                   Les paupières recouvrent les yeux rougis

                   Les larmes cessent.  

     

    Survient alors l’attente.

    L’attente de définition,

    L’attente de l’annonce qui définit.  

     

    C’est toi, Maître, qui définis

    C’est ton regard, ce sont tes mots

    Qui valident l’existence,

    Qui définissent la forme de l’existence,

                                la valeur de l’existence, aussi.  

     

    « Je suis las. Sois toi, désormais . »  

    Tu as énoncé,

    Tu as annoncé,

    Tu as défini…

                                                  …  " toi " …

     

                                                                                    …. moi ?

     

                                                                                                                                          Quelle est donc cette chose ? 

     

     

     

     


  • Affaire(s) de filles   

     

    ~   Justine   ~    

     

    C’est le père Noël qui me l’a amené. –Je sais que c’est les parents mais moi j’ai envie de dire que c’est le Père Noël- 

    Il est rose, c’est ma couleur préférée. Et il est tout doux, dessus, un peu comme un doudou… sauf que je dors pas avec ! Je peux le porter comme une dame, sur l’épaule, parce qu’il a une longue corde rose aussi, et elle brille, en plus. Et le porter comme une maman, c’est ça que je préfère. Parce que comme ça, je peux jouer que je serais une adulte, et alors ma chambre ça serait mon chez moi. Mon bureau il fait comme la cuisine, et mon lit il serait le canapé. Quand j’ouvre la porte de mon armoire, ça fait la salle de bain, pour la douche. Et j’ai trouvé une clé pour dire que je ferme à clé quand je sors de ma chambre. Comme pour de vrai. 

    Dedans, j’ai pas beaucoup de choses parce que j’ai que 7 ans. Maman, elle, elle a toujours pleins de trucs dans le sien, mais je sais pas comment elle trouve l’idée de mettre tout ça. Et puis je crois qu’il y a pleins de trucs qui servent à rien, en vrai. Moi, j’ai ma clé pour faire semblant que c’est la clé de chez moi, j’ai un rouge à lèvre que maman m’a donné hier -j’en mets un peu, mais c’est dur, de pas déborder- et puis j’ai des bonbons que j’ai piqué à la cuisine. J’ai mis aussi mes papiers, ceux que je fabrique pour faire comme les grands. Dessus, j’ai écrit mon nom, mon adresse, le téléphone de la maison, et ma classe. Comme ça, si on trouve mon sac, ben on sait à qui il est et on peut me le rendre. J’ai fait aussi une carte pour payer. Ce qui est bien quand on sait écrire, c’est qu’on peut faire pleins de papiers comme ça, c’est super ! Ah oui, j’ai aussi mon porte-monnaie, évidemment. Celui que j’ai eu en cadeau à mon anniversaire. Je l’adore, il est trop beau ! Il est en tissus blanc avec des points de toutes les couleurs, et puis il y a des perles aussi, et pour le fermer il y a deux petites billes en or qu’il faut croiser. Dedans j’ai 5 euros, en pièces. C’est Mamie qui me les a donnés l’autre jour. Je vais m’acheter un jeu, avec. 

    Des fois, maman elle dit oui pour je le prenne quand on va aux magasins faire les courses. Je trouve ça super. Comme ça, c’est vraiment comme une grande. 

      

     

     

     

    ~   Jennifer    ~       

     

    Putain, si elle fouille dedans, je la bute ! 

    Même si elle essaie de l’ouvrir, je fais une fugue ! Comme ça, peut-être qu’elle comprendra –enfin !!!!que j’ai une vie privée, moi ! Font chier, les parents, ils comprennent vraiment pas que j’ai besoin d’intimité ! Je suis plus une gamine ! Merde ! 

    En plus, ça craint trop, j’ai le paquet de clopes de Magali, parce que sa mère elle est vraiment trop relou, elle fouille tout, tous les soirs ! La pauvre, elle a vraiment pas de chance… Moi ça va encore. Sauf aujourd’hui, je flippe à mort d’avoir oublié mon sac dans l’entrée avant de partir chez Alex. Je suis vraiment trop conne !... Et puis je suis encore plus débile d’avoir laissé mon agenda à la maison ! Je devais faire lire à Alex le mot que m’a écrit Nico en cours de bio, hier. Ouah… je m’en remets pas !! Le mec trop canon qui m’écrit qu’il me trouve mignonne et qu’il espère qu’on sera encore dans la même classe l’année prochaine !!!!!! J’arrête pas d’imaginer pleins de trucs… faut que j’arrête, sinon après je vais encore être déçue et pleurer comme un bébé. Bon, quand je rentre tout à l’heure, je chope mon sac et je vérifie que tout y est. Pourvu qu’elle y touche pas !!!!!!!!! 

      

     

     

     

    ~   Marine    ~       

     

    Il va m’en falloir un nouveau, maintenant. 

    Mon sac sixties de toile délavée tie & die, il est cool, mais bon, ça fait peut-être trop étudiante. Si je veux être un minimum crédible avec les collègues, il me faut un sac plus adulte.  

    Plus « adulte »…. Je ne me sens encore tellement pas adulte ! A quoi ça tient, finalement, de se sentir adulte ? J’ai un appart, j’ai un mec, j’ai une voiture, j’ai même un taf, maintenant ! Quand je vois cette nana montée sur talons, avec son sac à main en cuir, son maquillage impeccable et sa tenue parfaitement féminine…. Et que j’apprends qu’elle a 23 ans, comme moi…. Ouah… ça me met une claque ! Va falloir jouer à la femme, maintenant, alors ? Parce que bon, moi, j’ai l’impression d’avoir toujours 18-19 ans. Eternellement. Avec le sac d’étudiante, les fringues…. d’étudiante, le sentiment d’être encore un peu ado, pas encore tout à fait définie entre fille, garçon, femme, une espèce d’identité mal construite…  

    Je me demande si ça viendra un jour…  

    En attendant, je ne sais pas trop ce que je vais pouvoir trouver comme sac qui me plaise et qui me ressemble… en version adulte. 

      

     

     

     

    ~    Nathalie    ~   

     

    Mais quel bordel !!! Comment tu veux trouver quelque chose là-dedans ??!!! Ah il est grand, c’est pratique ! Il n’y avait pas plus grand, d’ailleurs, dans la boutique. Et pour cause… Rha !.. Je suis pourtant certaine de l’avoir, je me souviens parfaitement l’attraper et le fourrer dedans rapido. Ah que ça m’agace !!!  Bon, ben, j’ai cinq minutes avant la sortie d’école, on va prendre les grands moyens : on va vider ! ça sera l’occasion de faire un peu de tri, et ça, ce n’est pas du luxe ! 

    Alors, au menu on a donc :

    une carte grise et un permis de conduire…

    bon, utile, on garde  un ticket de caisse de chez Auchan… poubelle !  

    un flyer du festival de machin, ah oui, très bien ce festival…hop ! aimanté sur le frigo

    la carte bleue… indispensable, on garde

    paquet de mouchoirs, on garde

    un tube de vitamine C… ouais, à garder encore quelques jours

    des tic tac… à garder, ça évitera un pétage de plomb de Gudulette en voiture

    un bon de réduc de 10 euros chez Jacques Dessanges… ah !... ah ben non, périmé. Poubelle

    chéquier, on garde

    baume pour les lèvres… on pose pas la question, on garde

    Stylo… ben… idem

    agenda qui dégueule de papiers, on triera plus tard, hein, et on le  garde « dans son jus »

    Gi Joe… il a vraiment une tête de con ce type… allez, le rdv chez le pédiatre est passé, ça sort !

    pansements… oui, si, on garde, on sait jamais

    pilule… oh , oui, on garde !!!

    1493 cartes de fidélité…. Pfff… allez, je garde

    Clé usb du boulot… ben… je garde

    Ecouteurs… oui, je vais en avoir besoin cette semaine, pour bosser tranquille

    Papier.. c’est quoi ça ? oh ! un coloriage de Dragonball Z ! youpi !.................. tu sors !

    Carte de mutuelle… ben voyons, en vrac, au fond, normal. On garde et on range

    Encore des tickets de caisse… allez !!! ça dégage !!!!

    2 tickets de manège valable 1500 ans, on garde pour la prochaine, cela va sans dire

    Un élastique rose et une barrette vert pomme…. Arf… terrible hésitation !........ mais ça sort !!

    Deux sachets de verveine… on garde ! on garde ! c’est mieux que le Lexomil ou l’infanticide !

    Des vieux papiers dégueulasses en partie déchirés…. Et…. Oui !!!!! on l’a trouvé !!!! victoire !!!!! Maman 1 – le sac 0 !!!!!! le putain de dossier de réinscirption à la cantine va aller rejoindre la putain de boîte aux lettres de la mairie !!!!..... en plus, il vont être contents, à la mairie… parce que s’ils ont un petit creux, ils auront des miettes de figolu, en prime, dans les papiers pliés !!!  

    …. AAaaahhh….. douceur de la maternité…

    Tu imagines la joie lumineuse d’un matin Ricoré…..

    …. Et tu te retrouves avec un sac à main grand comme une valise où se côtoient GI Joe et des Figolu !!  

     

     

     

     

    ~    Martine    ~          

     

    Ils me manquent un peu… 

    Pas tous les jours, soyons honnête. Le calme de la maison, les soirées en tête à tête retrouvées, la possibilité de sortir au cinéma ou au théâtre, de manger un repas de légumes verts sans protestations… Tout cela a une saveur particulière. Parce que nous les savons heureux, bien sûr. Chacun a réussi à construire sa vie… Le marmot qui gonfle le nombril de notre grande fille viendra bientôt remettre un peu d’agitation… enfin le temps des vacances. Il y a un temps pour tout, nous n’avons plus l’âge des nuits incomplètes. 

    Oui… la satisfaction du devoir accompli… 

    …et le calme retrouvé… 

    … le calme… 

    … 

    Où est cet album de photos d’enfance qu’ils m’ont offert dimanche dernier, pour la fête des mères ? Ah oui, je l’ai rangé dans mon sac. C’est une belle idée, je sens qu’elles ne vont pas me quitter, ces photos. Alors… Ah, le voilà. 

    Il est joli, ce cuir bordeaux, c’est un bon achat, ce sac. 

      

     

     

    ~    Marguerite    ~        

     

    Voici l’heure du repas. 

    Il est servi dans la salle de restauration, au rez-de-chaussée. C’est une drôle de vie, tout-de-même, que ce dernier chapitre… Cette confusion ambiante entre intimité et collectivité. Et nous jouons tous le jeu de cette mascarade ! Les demoiselles et les jeunes hommes, fort aimables au demeurant, font irruption dans les moments les plus intimes du quotidien. Qu’il est triste de voir sa déchéance… 

    Moi aussi, je joue le jeu. Je participe à la grande parade qui donne l’illusion que non, tout n’est pas perdu, que nous ne sommes pas que de vieux corps inutiles à la dépendance pesante, parqués à l’abri des regards jeunistes plus en vogue. 

    Oui, je joue le jeu. 

    Tous les jours à 11h45, je rejoins la salle de restauration. Je prends mon sac à main, comme je l’ai fait toute ma vie, en quittant mon domicile. Je porte ce sac quasi-vide pour montrer aux autres que dans ma lente descente vers les vers, je n’ai pas encore perdu ces repères-là, de vie en société. Il est posé sur mon avant-bras et sa légèreté seule trahit la pantomime. Un mouchoir et quelques photos de famille. 

    Je n’ai plus besoin de rien emporter d’autre, désormais, dans mon sac à main. 

     

     


  •  

    Une équipe de scientifiques passionnés a conçu et construit un dispositif d’écoute à grande échelle. Loin des préoccupations sécuritaires de la NSA, ceux-ci ont cherché à entendre l’espace. Ils ont installé une immense parabole dans un lieu de la planète préservé de la pollution sonore et des ondes omniprésentes. Pendant des mois, ils ont écouté en enregistré, antenne orientée vers l’univers, essayant différentes inclinaisons et différentes directions. 

    « Nous allons entendre le son de l’infiniment grand et de l’infiniment loin », avaient-ils déclaré en faisant connaître leur projet.  

     Un an plus tard, ils reviennent avec des résultats étonnants qu’ils nous expliquent :  

    « Nous n’avons pas entendu l’infini mais des infinis. Tournés vers l’univers, nous pouvons en fait entendre une infinité d’infinis envolés de notre planète. »   

    Aujourd’hui, ils partagent avec nous quelques-unes de ces envolées…  

    ∞   

     « A huit ans, il y avait ce livre que j’aimais tant. Un grand livre à la couverture rigide, qui offrait une histoire à chaque jour de l’année. Le premier du mois, c’était une longue histoire sur une entière double page. Après quoi alternaient de façon aléatoire des récits courts et très courts, connus ou inconnus, réalistes ou oniriques.  

    Je me souviens d’un titre : « Neige blanche et rose rouge », deux sœurs aux carnations et aux tempéraments foncièrement différents qui faisaient le désespoir de leur père. Aujourd’hui encore, il sonne joliment à mes oreilles allitératiophiles.

    Mais surtout, dans ce livre il y avait ce tout petit conte, une petite vignette en bas à gauche d'une page de gauche…

    Un homme avait une telle fascination pour les cieux étoilés qu'il marchait toujours le nez en l'air,  le regard dévoué exclusivement à ses amours astrales. Une nuit, son errance l'amena sur une étendue herbeuse sans fin visible. Une étendue dont la finitude était pourtant bien réelle. Et vertigineuse. Des centaines de mètres de falaise. L'homme, comme à son habitude, est absorbé par sa contemplation et ne fait pas cas du sol qui ne tardera pas à se dérober. Plus que toute autre chose, il aime le ciel. Il aime la beauté infinie, l'infiniment grand, l'insondable profondeur de l'espace obscur, les innombrables lueurs qui habillent la nuit... Il vit dans la lune et marche la tête dans les étoiles. Et cette nuit-là, les étoiles font de cet homme un astre de plus au-dessus de la falaise et au-dessus du vide et au-dessus de la terre. Une à une, elles descendent sous les pieds du rêveur, portent chacun de ses pas insouciants, et le conduisent, haut, à continuer de rêver sans fin, parmi elles… »    

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     « J’avais quatorze ans. Mes parents se déchiraient quotidiennement, dans une maison provençale à l’aspect si doux.  

               [ oliviers, cyprès et lavandes ; tommettes, murs blancs et volets bleus ]

    Là-bas, les remarques acerbes volaient .

               [ les parts de tartes aussi, à la fin de certains repas ]

    Les cris étaient fréquents.

               [ les larmes aussi ]

    Les miennes, inquiètes.

               [ les leurs, aussi, pas toujours cachées ]

    Dans ce contexte, l’éducation religieuse que je recevais au collège

              [ privé, catholique, portes closes et bien - pensance ]

    prit une dimension particulière. Pour l’adolescente que j’étais, introvertie en tentative de mutation, cernée de puérilité adulte, le divin me semblait le seul recours réconfortant. Alors j’ai prié, souvent. J’ai invoqué l’infinie bonté d’une force supérieure qui pourrait aider les géniteurs et apaiser le foyer déchiré.

     Vint le mois de mai de cette année-là. Je préparais avec quelques camarades ma « confirmation », cérémonie de renouvellement de mon baptême, de mon désir d’inscription dans l’Eglise.

             [ Une , Sainte, Catholique et Apostol ique ]

    Dans cette démarche, il nous était demandé de rédiger une lettre exposant notre Foi, motivant notre démarche. Une formalité, compte tenu de mon inspiration du moment.  Il nous fut aussi demandé de participer à une journée de retraite.

             [ prières, chants religieux, discussions et recueillement ]

    Le lieu était paradisiaque : une abbaye accrochée à flanc de colline, dominant la plaine, faite de salles fraîches et infiniment paisibles, de cellules creusées dans le calcaire et d’un jardin arboré et fleuri, baigné de soleil.

    La journée se déroula comme convenu, agréable et conventionnelle.  

    Mais il y eut ce temps de recueillement individuel. La consigne était simple : profiter du lieu pour trouver chacun où faire l’expérience de l’introspection, dans la nature. J’ai marché dans le vaste parc aux multiples chemins, jusqu’à ce coin d’herbe déjà jaunissante. Là, face au soleil, je me suis arrêtée. Je me suis d’abord laissée bercer par la douce chaleur des rayons. Puis j’ai plongé dans mes pensées, dans mes préoccupations, dans mes inquiétudes, dans la fragilité de l’atmosphère familiale, dans le sentiment d’égarement et la recherche vaine de solution, dans le désir d’un ailleurs, lointain, dans l’espérance d’un divin rassérénant… Les larmes ont commencé à couler… Doucement, en silence. Et surtout, ce que je garde de cet instant, c’est ce froid qui s’empara de moi. Le soleil chaud du printemps provençal ne pouvait rien contre cette neige intérieure qui me glaçait le sang…. »   

    ∞ 

      

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                                 « Le vent ! C’est le vent !  

    Le vent qui porte

    Le vent qui transporte

    Le vent qui emporte

    Le vent  qui exalte

    Le vent qui excite

    Le vent de vie

    Le vent de l’euphorie

    Le vent qui entre en toi

    Le vent qui ne finit pas

    Le vent qui te fouette

    Le vent qui suffoque

    Le vent qui te pousse

    Le vent qui lutte corps à air, contre toi 

                               Le vent ! C’est le vent ! 

    Va à la fin de toute terre,

    monte sur le toit d’un vestige de guerre,

    fais face à l’immensité de l’océan,

    sois debout,

    sois toi,

    sois fort,

    écarte les bras,  

    et affronte-le,  

    et reçois-le,  

    et respire-le,

    et accueille-le,  

    et embrasse-le,

    et vis-le ! 

                                     Le vent ! C’est le vent ! »    

    ∞ 

      

    ∞   

     «  Il est une paix que nul ne peut éteindre. C’est l’équilibre qui Est. Qui Est mais sans être statique. Cet équilibre qui fait que dans toute situation, la Vie trouve un chemin. Cet équilibre en évolution qui fait que tout s’accorde merveilleusement, dans un mélange de spontanéité simple et de vertigineuse complexité. Il y a la tectonique des plaques, à une échelle de temps et de taille qui nous est difficile à percevoir. Il y a le cycle sans fin de la chaîne alimentaire, qui fait que chaque vivant trouve une utilité, ne serait-ce que pour nourrir un autre vivant, qui donne la vie, meurt, nourrit un autre vivant, etc. L’humain, malgré sa fatuité sans borne, est un élément parmi d’autres de cet équilibre plus global qui permet à la Vie de perdurer. La Vie est infinie, à la différence de la nôtre. Même si, le temps qu’elle dure, l’équilibre fascinant y existe aussi. Le concept d’homéostasie, ou comment un organisme vivant ou un écosystème trouve le moyen en lui-même de se réguler pour s’adapter et se maintenir en équilibre.

                   Il m’est arrivé de toucher du doigt un sentiment de paix et de perfection, que l’on pourrait appeler bonheur, dans des instants fugaces où tout est à l’équilibre, où l’harmonie règne, à l’intérieur de moi, autour de moi, et le tout de concert… des instants vites évanouis mais dont l’écho résonne sans fin…

           Marcher seule dans une ville la nuit

          Savourer le spectacle des nuages dans le ciel, allongée sur un mur de pierre chauffé par le soleil

          Boire un excellent vin en faisant face à la mer, à la fin du jour

          M’endormir au soleil dans l’herbe haute d’un verger à l’abandon

         M’allonger à la surface de l’eau et écouter mon souffle, et le monde, à travers ce filtre

         Discuter paisiblement avec mes enfants en nous balançant dans un hamac

         Entendre l’homme que j’aime susurrer qu’il m’aime

         M’allonger près de lui dans un bois silencieux, sous des chênes

         Sentir ses mains sur ma peau… »    

    ∞ 





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