• La fin du NOM

     

    -  Chapitre 1  -

     

     

    -          - Chérie ! Tu es là ?

    -          - Oui, oui, je suis ici, à la…

    -          - Ah ! Te voilà. Bonsoir, ma belle.

           -   - Bonsoir, mon…

    Il l’embrasse tendrement et poursuit :

    -           - Que fais-tu ?

    -         - Je fonds la peau des rangements, j’en ai assez de cette décoration insipide ! Regarde, j’ai acheté cette rouge-ci, à la place. Qu’en … ?

    Il fait la moue mais elle reprend :

    -          - Dès que j’aurai fini de fondre, je passerai l’apprêt puis déposerai la… Je suis sûre que ce sera très…

    -          - Que ce serait.

    -          - Que … ?

    -          - Serait, que ce serait très bien.

    -          - Pourquoi serait ? Ce sera … !

    -          - 

    -          - Qu… ?

    -         - … Tu sais bien ce que je veux dire… C’est fantastique toutes ces envies, tous ces projets, ta créativité est certainement ce que j’aime le plus en toi ! Mais ma chérie, tu sais aussi que jamais un de tes projets ne voit le jour.

    -          - Je refuse de croire que c’est une… ! Je sens que cette fois je parviendrai à aller jusqu’au bout, que je…

    -         - … ma belle, je t’aime plus que tout mais il y a une chose que je n’attends plus, c’est que tu arrives un jour au bout de quelque chose. Même tes phrases ne sont jamais complètes. Comment penses-tu encore pouvoir échapper à ta destinée ? Tu sais bien, pourtant, dans quel monde nous vivons et qui nous sommes.

    -          - Je ne sais pas, je… J’ai envie d’y croire, je… Oh, mon amour, ne me laisse pas devenir une de tes causes perdues, une…

    Une larme perle et coule le long de sa joue.

    -           - … D’accord.

    -           - D’accord ? Que veux-tu… ?

    -           - Oui, j’attendais le bon moment pour t’en parler. Je crois que maintenant est un bon moment.

    -          - Je ne…

    -          - Viens avec moi.

    Il lui prend la main et l’emmène.

    -          - Où… ?

     

    -           - Viens. Tu verras.

     

     

     

    -  Chapitre 0  -

     

     

                    Une collection de commencements, voilà ce qu’était sa vie. Depuis son assignation, son existence était faite d’espoirs et de projets, d’imagination et de planification. Elle était en mouvement vers l’avant. Un mouvement perpétuel à l’énergie infinie.

                    Infinie. Ce mot aussi pouvait la définir. Car malheureusement son don de créativité était assorti d’une incapacité à achever quoi que ce fût.

                    La sorcellerie maïeutique du déterminisme individuel psychosocial par assignation prénominale était en effet d’une redoutable efficacité… Or, passés ses trois jours de vie, le prénom qu’on lui assigna fut Procrastina. Le prénom et la vie que celui-ci lui promettait.

     

                    Mais chanceuse, des années plus tard, son chemin croisa celui d’un certain Jude, au destin lui aussi tout tracé. Un Jude bienfaiteur qui devint son époux, et qui allait changer sa vie.

     

     

     

     

    -  Chapitre 2  -

     

     

                    Il a stoppé l’automouvante après vingt minutes de transfert silenceux. Au contact de la main de jude, une large porte s’ouvre sur un long couloir, vide et immaculé.

    -          - Que faisons… ?

    -          - Fais-moi confiance.

    Au bout du couloir, il frappe trois coups secs à la dernière porte. Celle-ci s’ouvre aussi sèchement, sur une femme en blouse blanche, qui fait immédiatement volte-face, Jude lui emboîtant le pas. Procrastina, médusée, observe la grande salle immaculée remplie de pièces de métal, de calculateurs, de conduits en verre, et qui sent l’huile, la limaille et le pétrole.

    -          - Alors ? Elle est prête ? Demande Jude à la femme en blouse. C’est le moment, elle doit être prête.

    -    - Je termine de l’alimenter en Robovitam A et elle sera opérationnelle. Par contre, nous avons eu un léger souci avec le thermomoulage du revêtement surpeaucier semi-rigide. Voyez vous-même, au niveau de l’épaule gauche.

    -          - Ce n’est rien, une minute de thermolisseur et il n’y paraîtra plus rien.

    Se retournant, Jude aperçoit sa femme, immobile et coite, sur le seuil du laboratoire.

    -          - Procrastina, ma chérie, approche, voyons ! J’ai quelqu’un à te présenter.

    Il tend une main, dans laquelle Procrastina glisse doucement la sienne. Elle interroge son mari du regard et il reconnaît une curiosité empreinte d’inquiétude. Il la serre alors contre lui, d’un bras rassurant, doux et ferme. Puis, ayant renvoyé l’assistante, il déclare, théâtral, dans un large mouvement de son bras libre :

    « Ma chérie, je te présente Terminatora ! »

    Devant eux se trouve une femme, ou plutôt une chose à l’apparence et la taille d’une femme.

    -          - Vois-tu, reprend-il avec le même ton emphatique, Terminatora est le dernier robot de mon invention. Comme tu peux le constater, elle a forme humaine, pour plus de convivialité, mais elle répond surtout à un programme informatique précis, spécialement conçu… pour toi.

    -          - Pour… ? Mais que… ?

    -          - Ce robot androïde, je l’ai déterminisé Terminatora car il est programmé pour achever tout ce que tu commences, pour réaliser tout ce que tu remets à un plus tard chimérique. D’ailleurs, nous allons vérifier tout de suite son bon fonctionnement !

    Jude se penche vers le dos de l’androïde, opérant une manipulation qui échappe au regard ému et larmoyant de sa femme. Elle sourit et ses lèvres tremblent d’émotion :

    -         -  Mon amour, c’est…

    -          - FOR-MI-DABLE

    Procrastina sursaute, lève le visage vers la voix métallique et ajoute, fébrile :

    -          - Oui ! c’est ça ! c’est exactement ce que je voulais dire ! Oh Jude... C’est merveilleux, tu es merveilleux, je suis la femme la plus…

    -          - HEU-REUSE

    -          - Merci, Terminatora.

    Jude sourit. Procrastina se jette au cou de son mari, qui l’enlace tendrement. Elle pleure de chaudes larmes de joie.

     

     

    Tous deux savourent en silence les perspectives nouvelles qu’offrent à leurs esprits l’audace d’avoir su hacker le déterminisme du Nouvel Ordre Mondial.

     

     

     

    « une nuitun arbre de(s) vie(s) »