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    L’inspecteur se laisse tomber sur son fauteuil de bureau, exténué. Ses jambes ne le portent plus. Les bras ballant, les yeux rougis par le manque de sommeil, il contemple le fruit de son travail. Aujourd’hui encore, il a relu, synthétisé, compilé les cinq dossiers énigmatiques. Devant lui, cinq photos de scènes de crime et cinq fiches :


     

    Date : 27 avril

    Description de la scène de crime :

    Homme, 55 ans, retrouvé mort à son domicile, au milieu du salon, nu, éventré, des boyaux tendus entre les orteils de son pied droit et le côté gauche de son cou, fixés à la peau par des vis ; les dix doigts sectionnés ; une corde près de la main droite, un fil de métal près de la main gauche.

    Conclusion du rapport d’autopsie :

    L’éventration est nette, seul l’intestin grêle est manquant, sectionné à ses deux extrémités. C’est l’intestin de la victime qui a été retrouvé fixé sur son corps, découpé en quatre parties de longueur égale. Les doigts de la main droite ont été sectionnés par un crin de cheval, dont est composée la corde trouvée près de la main. Les doigts de la main gauche ont été sectionnés par une fine corde d’acier telle que celle trouvée près de la main. Le décès a été causé par l’hémorragie provoquée par l’éviscération.

     

     

     

    Date : 6 juillet

    Description de la scène de crime :

    Homme, 62 ans, retrouvé mort à son domicile, au milieu du salon, nu, la bouche fermée, les joues déchirées, les dix doigts coupés, un tube de cuivre près de la main droite.

    Conclusion du rapport d’autopsie :

    Au niveau de la tête, les lèvres ont été collées l’une à l’autre avec de la colle utilisée par le corps médical en substitut des sutures. Les narines ont été fermées de la même manière. Le décès fait suite à une asphyxie. Les plaies aux joues sont ultérieures au décès. Elles ont été transpercées par un tube de cuivre correspondant à celui retrouvé près du corps.

     

     

     

    Date : 16 juillet

    Description de la scène de crime :

    Homme, 58 ans, retrouvé mort à son domicile, au milieu du salon, nu, les bras sectionnés, les yeux crevés et la bouche béante.

    Conclusion du rapport d’autopsie :

    Les membres supérieurs ont été amputés nettement. Les globes oculaires ont été crevés par un objet cylindrique en bois, d’environ 5mm de diamètre. L’œsophage est encombré par une boule de papier. Le décès a été causé par l’asphyxie liée à l’obturation des voies aériennes.

     

     

     

    Date : 25 septembre

    Description de la scène de crime :

    Homme, 46 ans, retrouvé mort à son domicile, au milieu du salon, nu, les jambes ouvertes dans le sens de la hauteur, un disque de peau arraché du torse, les mains et les pieds coupés, une barre de bois clair posée près de chaque bras.

    Conclusion du rapport d’autopsie :

    L’homme a été écorché minutieusement sur la face antérieure et postérieure du buste, de deux disques de 35.6 cm de diamètre. Au niveau de chaque jambe, une incision longitudinale, latérale externe, profonde et nette. Les péronés ont été enlevés. Les barres de bois retrouvées près du corps se sont révélées être en fait des os appartenant à la victime, ses péronés, poncés pour effacer la forme naturelle de l’os. Les mains et les pieds ont été sectionnés par écrasement, par des coups répétés jusqu’à dislocation des tissus.

     

     

     

    Date : 17 octobre

    Description de la scène de crime :

    Homme, 37 ans est retrouvé sans vie à son domicile, au milieu de son salon, nu, les dix doigts coupés et le corps tuméfié, un marteau noir près de la main droite, un marteau blanc près de la main gauche.

    Conclusion du rapport d’autopsie :

    La tuméfaction a été causée par 88 coups de marteau, sur les bras et le torse. Le décès fait suite aux hémorragies internes provoquées par les lésions liées à ces coups de marteaux sur différents organes.

     

     

     

     

     

     

                    Cinq fiches, cinq photos, mais toujours pas une seule piste… Las, il rassemble ce qui lui reste d’énergie pour se redresser péniblement et éteindre sa lampe de bureau. Les morts attendront un jour de plus. Il parvient à se lever puis rejoint d’un pas lourd le hall du commissariat. Il salue le collègue à l’entrée d’un vague signe de tête et sort dans la rue. Il fait froid, la nuit s’annonce, le vent se glisse dans l’ouverture du col de sa chemise. Même le temps est déprimant… Cinquante mètres plus loin, le cuir de sa voiture l’accueille mollement. Il soupire, reste une minute prostré, immobile. Finalement il démarre et s’engage sur la chaussée, mais un motard vient lui couper la route et le sortir de sa torpeur. Les gesticulations du motard semblent hurler les insultes inaudibles à travers son casque et la vitre de la voiture de l’inspecteur désabusé. « Connard…. », maugrée-t-il en passant la seconde. Une minute et deux feux rouges plus loin, il commence à savourer l’idée de repos qui s’annonce et imagine la bière qu’il va ouvrir, le match sans intérêt devant lequel il va s’assoupir. Alcool et lobotomie pour trouver un peu de répit. La pluie qui commence à tomber interrompt sa rêverie et le prospectus prisonnier du balai d’essuie-glace achève de lui rendre son humeur massacrante. . « Les doigts agiles », la nouvelle école de musique de la ville. « Fait chier !!… » mais tant pis, le prospectus continuera de faire des arcs de cercle. L’inspecteur se penche à droite pour voir la route là où les essuie-glace… essuient la glace.

    Il se gare devant la porte de sa maison. Les lumières sont allumées, il devine les silhouettes de sa femme et de son fils. L’inspecteur prend une minute pour tenter de redevenir mari et père et laisser derrière lui la sauvagerie des corps mutilés dont il a saturé ses rétines toute la journée, comme la précédente, celle d’avant et celle encore avant. Louable tentative, mais l’odeur de la mort est tenace.

    Dès le seuil, il est accueilli par le tonique « Salut, toi ! » au sourire lumineux de son épouse visiblement joyeuse, qui vient de l’embrasser rapidement. Il s’efforce de lui laisser croire qu’il s’intéresse à ce qu’elle commence à raconter à toute allure, des mésaventures de sa journée trépidante. Une nouvelle scène de ménage est au-dessus de ses forces. Entre deux « hum » distraits mais suffisants, il saisit une bière dans le haut du frigo, en remarquant le léger tremblement de ses doigts. La bouteille tant attendue dans une main, le décapsuleur dans l’autre, la tv et le canapé en ligne de mire, son projet du soir est sur le point de se mettre en place…

    « Papaaa !!! »  Un garçon de neuf ans vient de le percuter par derrière et manquer de lui faire heurter le montant de la porte.

    «  Papa ! Papa ! Ecoute ça ! Je l’ai appris aujourd’hui à l’école de musique ! »

    Une moue grimaçante lui échappe quand une pensée fugace traverse son esprit. Il le revoit tout le pathétique de l’homme éreinté qui préfère conduire penché plutôt que descendre enlever un bout de papier détrempé…

    « Papa ? » questionne le regard bleu. « Oui, pardon, vas-y, mon grand, je t’écoute. » Le garçon porte l’embouchure dorée à ses lèvres écarlates, inspire bruyamment par le nez, gonfle les joues… et sort un son strident et insupportable de son instrument. Passées deux, trois mesures, la mélodie est toujours à peine identifiable, si tant est qu’il y en ait eu une un jour... ça devient intolérable. Le père si aimant s’entend cependant penser, malgré la fierté de son garçonnet « Bon Dieu de merde, mais c’est de la torture ! Pourquoi il maltraite mes tympans et cette innocente trompette ??… mais coupez-lui les doigts !!!! »

    ….les doigts et les lèvres… pour une trompette…

     

     

    Le voilà qui blêmit tout à coup… fait volte-face, et sans un mot, sans un regard pour femme et fils sidérés par son étrange comportement, traverse la maison en courant, arrache le papier du pare-brise, démarre en trombe et fonce au commissariat en criant des « Putain ! Putain ! Putain !!!! »


     

     

     

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    Dans la pénombre silencieuse de la maison cossue qui abrite école et logement, un homme se sert un verre de vin. Il va au salon et le pose sur un guéridon. Il s’approche alors de la platine, en ouvre le capot, saisit délicatement le bras du tourne-disque et le lève de deux centimètres. Le disque commence à tourner. Il amène le bras vers la gauche et avec précaution, le redescend jusqu’à ce que le diamant vienne se poser dans le sillon. Le disque commence à chuchoter quand l’homme referme le couvercle. Il s’approche du guéridon, saisit son verre dans la main gauche, l’approche de son nez, ferme les yeux et hume le délicieux nectar. Douceur immédiatement interrompue par les accords tonitruants de l’ouverture de la cinquième symphonie de Beethoven. La musique, la grande musique, la seule musique valable emplit tout le volume de la pièce, résonne dans la maison, vibre dans le corps. Un sourire naît aux coins des lèvres de l’homme, puis un rictus, et bientôt c’est un rire bruyant qui le secoue, un rire conquérant, un rire triomphant, un rire agressif et fier, victorieux et satisfait. Peu à peu, les secousses diminuent et l’homme vient prendre place solennellement dans le grand fauteuil. De là, il peut embrasser la pièce entière du regard. Et contempler la magnificence de son œuvre achevée.

    Face à lui, au milieu du salon, un piano, un violoncelle, une trompette, une batterie et un pupitre sont disposés, immobiles et seuls, comme en attente de joueurs. Et malgré les apparences premières, les musiciens auxquels ils ont appartenus sont là, en fait, eux aussi.

    L’homme réprime une nausée en pensant « musiciens ». Les médiocres…

     

    Et en effet, sur le mur du fond, cinq cadres dorés côte à côte, sous de subtiles lumières, ont été méticuleusement alignés, un à un, avec les instruments et le pupitre de chef d’orchestre. A l’intérieur, répartis selon leur appartenance à chacun des méprisables imposteurs qui désormais et grâce à lui ne feront plus honte à la Musique, trente doigts, deux mains, deux pieds, deux bras, deux disques de peau et une paire de lèvres.

     

     

     

     

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    …puisqu’il est dit que le vent me portera…

     

     Mains sans clés, sac sans papiers, poches sans argent, aller sans retour. De bonnes chaussures aux pieds et la voile, sur le dos.

    L’ascension commence sur terre. Marcher, monter, grimper, vers le sommet. Une ascension solitaire, en prélude au vol solitaire… à l’image d’une vie solitaire.

    Voilà. Le sommet. Instant de contemplation….

    Que la vue est belle… nature sauvage, rude par-ici, douce par-là, attirante, accueillante, effrayante… La lande de bruyère, devant, dessine une couverture moelleuse aux collines millénaires. A droite, la forêt, chérie, sillonnée, explorée, photographiée… à gauche, on ne peut qu’imaginer les falaises de granit se jetant dans la mer, en proie aux tempêtes et aux naufrages. On les imagine car elles sont masquées par les pâturages, les champs et les villages. Que de petites choses masquent l’essentiel.

    Là-haut… quelques stratus soulignent l’intensité bleue, qui bientôt virera à l’or, au rose, à l’orange, au rouge et enfin au noir… Il sera beau ce noir, car il sera libre, enfin. Et léger. Silencieux. Le noir omniprésent accueillant l’absent.

    Les pieds au sol, mais déjà la tête dans le ciel. Le vent fouette le visage et fait danser les cheveux.

    Comme il me tarde d’y être…

    Je pose donc mon sac. J’en sors la voile, la déplie, la vérifie… Le vent ne me facilite pas la tâche pour l’instant. Je bataille un peu contre lui, avant de me confier entièrement à ses invisibles mains.

    Tout est en place à présent. Il est temps de me préparer.

    D’abord, je me déchausse. Pieds nus, voilà. Je veux sentir le sol. Je veux sentir l’herbe que je foule. Je veux être pleinement présent pour chacune de mes sensations, en cet instant solennel. Je veux sentir la terre que je laisse.

    J’ôte ensuite mes vêtements. Peu à peu, je libère mon corps et expose ma peau au soleil et à l’air. Je n’emporterai rien d’inutile. Que me faut-il pour ce voyage-ci, sinon la peau à quitter et mon superbe véhicule ? Les yeux fermés, la tête légèrement basculée vers l’arrière, les bras un peu écartés, paumes vers le ciel, je hume, je sens, je ressens. Je n’ai jamais été plus présent. Je n’ai jamais été plus vivant, malgré le vide. Il y aurait presque un goût de bonheur dans cet instant d’une grande pureté.

    Tout est bien. Je suis prêt.

    La voile qui va m’emmener est grande et belle. La toile est bleue, un bleu sombre et profond. Les suspentes et le harnais d’un blanc immaculé me porteront au plus loin et au plus haut. Ce sera son premier vol.

    Me voici attaché. Dominant la pente, je me lève en tirant les suspentes. Soudain, le vent s’engouffre. Ça y est ! Je tire encore, pour arrondir mon ciel sombre, et je fais quelques pas vers la pente. Je commence à courir, quand le sol se dérobe.

     

    …je m’envole…

     

    Cette sensation est inégalable. L’apesanteur, la suspension, l’altitude, la vue, l’air frais, la liberté !

    Les années de pratique assidue et d’apprentissage méthodique me permettent de trouver rapidement des courants ascendants. Monter, encore, toujours plus haut, toujours plus loin. Les stigmates de l’activité humaine s’amenuisent à mesure que le sol s’éloigne. Le paysage gagne en douceur. J’ai rapidement atteint la mer, dont je ne distingue plus les mouvements.

    Je fais face au soleil, je le cherche, je le vise, je le poursuis.

    Il n’est de fin plus enviable que celle que je me suis choisie aujourd’hui.

    Ebloui par la lumière, je me fonds dans les hautes strates de l’atmosphère. Il n’y a plus de voile, il n’y a plus de sangles, il n’y a plus de haut et il n’y a plus de bas, il n’y plus de corps, il n’y a plus de sensation, il n’y a plus…

    Seule demeure la paix.            Telle est ma nouvelle demeure.

     

     


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    -- SERVI(abi)LITÉ -- 

     

      

      

    Maître,

    O Maître,

    Tu es,

    Tu dis,

    Tu dictes,

    Tu énonces,

    Tu annonces : 

    « Ce soir, il fait sombre. Sois une lampe ! »  

     

                   Et une lampe apparaît,

                   Les yeux se font lumineux,

                   Les paupières figées,

                   Les larmes abondantes menaçant l’intégrité de ton plancher précieux, Maître…  

     

    O Maître,

    Toi qui es,

    Toi qui dis,

    Toi qui dictes,

    Toi qui énonces,

    Toi qui annonces : 

    « C ’ est assez. Ne sois plus lampe. »  

     

                   Et la lampe n’est plus.

                   Les paupières recouvrent les yeux rougis

                   Les larmes cessent.  

     

    Survient alors l’attente.

    L’attente de définition,

    L’attente de l’annonce qui définit.  

     

    C’est toi, Maître, qui définis

    C’est ton regard, ce sont tes mots

    Qui valident l’existence,

    Qui définissent la forme de l’existence,

                                la valeur de l’existence, aussi.  

     

    « Je suis las. Sois toi, désormais . »  

    Tu as énoncé,

    Tu as annoncé,

    Tu as défini…

                                                  …  " toi " …

     

                                                                                    …. moi ?

     

                                                                                                                                          Quelle est donc cette chose ? 

     

     

     

     


  • Affaire(s) de filles   

     

    ~   Justine   ~    

     

    C’est le père Noël qui me l’a amené. –Je sais que c’est les parents mais moi j’ai envie de dire que c’est le Père Noël- 

    Il est rose, c’est ma couleur préférée. Et il est tout doux, dessus, un peu comme un doudou… sauf que je dors pas avec ! Je peux le porter comme une dame, sur l’épaule, parce qu’il a une longue corde rose aussi, et elle brille, en plus. Et le porter comme une maman, c’est ça que je préfère. Parce que comme ça, je peux jouer que je serais une adulte, et alors ma chambre ça serait mon chez moi. Mon bureau il fait comme la cuisine, et mon lit il serait le canapé. Quand j’ouvre la porte de mon armoire, ça fait la salle de bain, pour la douche. Et j’ai trouvé une clé pour dire que je ferme à clé quand je sors de ma chambre. Comme pour de vrai. 

    Dedans, j’ai pas beaucoup de choses parce que j’ai que 7 ans. Maman, elle, elle a toujours pleins de trucs dans le sien, mais je sais pas comment elle trouve l’idée de mettre tout ça. Et puis je crois qu’il y a pleins de trucs qui servent à rien, en vrai. Moi, j’ai ma clé pour faire semblant que c’est la clé de chez moi, j’ai un rouge à lèvre que maman m’a donné hier -j’en mets un peu, mais c’est dur, de pas déborder- et puis j’ai des bonbons que j’ai piqué à la cuisine. J’ai mis aussi mes papiers, ceux que je fabrique pour faire comme les grands. Dessus, j’ai écrit mon nom, mon adresse, le téléphone de la maison, et ma classe. Comme ça, si on trouve mon sac, ben on sait à qui il est et on peut me le rendre. J’ai fait aussi une carte pour payer. Ce qui est bien quand on sait écrire, c’est qu’on peut faire pleins de papiers comme ça, c’est super ! Ah oui, j’ai aussi mon porte-monnaie, évidemment. Celui que j’ai eu en cadeau à mon anniversaire. Je l’adore, il est trop beau ! Il est en tissus blanc avec des points de toutes les couleurs, et puis il y a des perles aussi, et pour le fermer il y a deux petites billes en or qu’il faut croiser. Dedans j’ai 5 euros, en pièces. C’est Mamie qui me les a donnés l’autre jour. Je vais m’acheter un jeu, avec. 

    Des fois, maman elle dit oui pour je le prenne quand on va aux magasins faire les courses. Je trouve ça super. Comme ça, c’est vraiment comme une grande. 

      

     

     

     

    ~   Jennifer    ~       

     

    Putain, si elle fouille dedans, je la bute ! 

    Même si elle essaie de l’ouvrir, je fais une fugue ! Comme ça, peut-être qu’elle comprendra –enfin !!!!que j’ai une vie privée, moi ! Font chier, les parents, ils comprennent vraiment pas que j’ai besoin d’intimité ! Je suis plus une gamine ! Merde ! 

    En plus, ça craint trop, j’ai le paquet de clopes de Magali, parce que sa mère elle est vraiment trop relou, elle fouille tout, tous les soirs ! La pauvre, elle a vraiment pas de chance… Moi ça va encore. Sauf aujourd’hui, je flippe à mort d’avoir oublié mon sac dans l’entrée avant de partir chez Alex. Je suis vraiment trop conne !... Et puis je suis encore plus débile d’avoir laissé mon agenda à la maison ! Je devais faire lire à Alex le mot que m’a écrit Nico en cours de bio, hier. Ouah… je m’en remets pas !! Le mec trop canon qui m’écrit qu’il me trouve mignonne et qu’il espère qu’on sera encore dans la même classe l’année prochaine !!!!!! J’arrête pas d’imaginer pleins de trucs… faut que j’arrête, sinon après je vais encore être déçue et pleurer comme un bébé. Bon, quand je rentre tout à l’heure, je chope mon sac et je vérifie que tout y est. Pourvu qu’elle y touche pas !!!!!!!!! 

      

     

     

     

    ~   Marine    ~       

     

    Il va m’en falloir un nouveau, maintenant. 

    Mon sac sixties de toile délavée tie & die, il est cool, mais bon, ça fait peut-être trop étudiante. Si je veux être un minimum crédible avec les collègues, il me faut un sac plus adulte.  

    Plus « adulte »…. Je ne me sens encore tellement pas adulte ! A quoi ça tient, finalement, de se sentir adulte ? J’ai un appart, j’ai un mec, j’ai une voiture, j’ai même un taf, maintenant ! Quand je vois cette nana montée sur talons, avec son sac à main en cuir, son maquillage impeccable et sa tenue parfaitement féminine…. Et que j’apprends qu’elle a 23 ans, comme moi…. Ouah… ça me met une claque ! Va falloir jouer à la femme, maintenant, alors ? Parce que bon, moi, j’ai l’impression d’avoir toujours 18-19 ans. Eternellement. Avec le sac d’étudiante, les fringues…. d’étudiante, le sentiment d’être encore un peu ado, pas encore tout à fait définie entre fille, garçon, femme, une espèce d’identité mal construite…  

    Je me demande si ça viendra un jour…  

    En attendant, je ne sais pas trop ce que je vais pouvoir trouver comme sac qui me plaise et qui me ressemble… en version adulte. 

      

     

     

     

    ~    Nathalie    ~   

     

    Mais quel bordel !!! Comment tu veux trouver quelque chose là-dedans ??!!! Ah il est grand, c’est pratique ! Il n’y avait pas plus grand, d’ailleurs, dans la boutique. Et pour cause… Rha !.. Je suis pourtant certaine de l’avoir, je me souviens parfaitement l’attraper et le fourrer dedans rapido. Ah que ça m’agace !!!  Bon, ben, j’ai cinq minutes avant la sortie d’école, on va prendre les grands moyens : on va vider ! ça sera l’occasion de faire un peu de tri, et ça, ce n’est pas du luxe ! 

    Alors, au menu on a donc :

    une carte grise et un permis de conduire…

    bon, utile, on garde  un ticket de caisse de chez Auchan… poubelle !  

    un flyer du festival de machin, ah oui, très bien ce festival…hop ! aimanté sur le frigo

    la carte bleue… indispensable, on garde

    paquet de mouchoirs, on garde

    un tube de vitamine C… ouais, à garder encore quelques jours

    des tic tac… à garder, ça évitera un pétage de plomb de Gudulette en voiture

    un bon de réduc de 10 euros chez Jacques Dessanges… ah !... ah ben non, périmé. Poubelle

    chéquier, on garde

    baume pour les lèvres… on pose pas la question, on garde

    Stylo… ben… idem

    agenda qui dégueule de papiers, on triera plus tard, hein, et on le  garde « dans son jus »

    Gi Joe… il a vraiment une tête de con ce type… allez, le rdv chez le pédiatre est passé, ça sort !

    pansements… oui, si, on garde, on sait jamais

    pilule… oh , oui, on garde !!!

    1493 cartes de fidélité…. Pfff… allez, je garde

    Clé usb du boulot… ben… je garde

    Ecouteurs… oui, je vais en avoir besoin cette semaine, pour bosser tranquille

    Papier.. c’est quoi ça ? oh ! un coloriage de Dragonball Z ! youpi !.................. tu sors !

    Carte de mutuelle… ben voyons, en vrac, au fond, normal. On garde et on range

    Encore des tickets de caisse… allez !!! ça dégage !!!!

    2 tickets de manège valable 1500 ans, on garde pour la prochaine, cela va sans dire

    Un élastique rose et une barrette vert pomme…. Arf… terrible hésitation !........ mais ça sort !!

    Deux sachets de verveine… on garde ! on garde ! c’est mieux que le Lexomil ou l’infanticide !

    Des vieux papiers dégueulasses en partie déchirés…. Et…. Oui !!!!! on l’a trouvé !!!! victoire !!!!! Maman 1 – le sac 0 !!!!!! le putain de dossier de réinscirption à la cantine va aller rejoindre la putain de boîte aux lettres de la mairie !!!!..... en plus, il vont être contents, à la mairie… parce que s’ils ont un petit creux, ils auront des miettes de figolu, en prime, dans les papiers pliés !!!  

    …. AAaaahhh….. douceur de la maternité…

    Tu imagines la joie lumineuse d’un matin Ricoré…..

    …. Et tu te retrouves avec un sac à main grand comme une valise où se côtoient GI Joe et des Figolu !!  

     

     

     

     

    ~    Martine    ~          

     

    Ils me manquent un peu… 

    Pas tous les jours, soyons honnête. Le calme de la maison, les soirées en tête à tête retrouvées, la possibilité de sortir au cinéma ou au théâtre, de manger un repas de légumes verts sans protestations… Tout cela a une saveur particulière. Parce que nous les savons heureux, bien sûr. Chacun a réussi à construire sa vie… Le marmot qui gonfle le nombril de notre grande fille viendra bientôt remettre un peu d’agitation… enfin le temps des vacances. Il y a un temps pour tout, nous n’avons plus l’âge des nuits incomplètes. 

    Oui… la satisfaction du devoir accompli… 

    …et le calme retrouvé… 

    … le calme… 

    … 

    Où est cet album de photos d’enfance qu’ils m’ont offert dimanche dernier, pour la fête des mères ? Ah oui, je l’ai rangé dans mon sac. C’est une belle idée, je sens qu’elles ne vont pas me quitter, ces photos. Alors… Ah, le voilà. 

    Il est joli, ce cuir bordeaux, c’est un bon achat, ce sac. 

      

     

     

    ~    Marguerite    ~        

     

    Voici l’heure du repas. 

    Il est servi dans la salle de restauration, au rez-de-chaussée. C’est une drôle de vie, tout-de-même, que ce dernier chapitre… Cette confusion ambiante entre intimité et collectivité. Et nous jouons tous le jeu de cette mascarade ! Les demoiselles et les jeunes hommes, fort aimables au demeurant, font irruption dans les moments les plus intimes du quotidien. Qu’il est triste de voir sa déchéance… 

    Moi aussi, je joue le jeu. Je participe à la grande parade qui donne l’illusion que non, tout n’est pas perdu, que nous ne sommes pas que de vieux corps inutiles à la dépendance pesante, parqués à l’abri des regards jeunistes plus en vogue. 

    Oui, je joue le jeu. 

    Tous les jours à 11h45, je rejoins la salle de restauration. Je prends mon sac à main, comme je l’ai fait toute ma vie, en quittant mon domicile. Je porte ce sac quasi-vide pour montrer aux autres que dans ma lente descente vers les vers, je n’ai pas encore perdu ces repères-là, de vie en société. Il est posé sur mon avant-bras et sa légèreté seule trahit la pantomime. Un mouchoir et quelques photos de famille. 

    Je n’ai plus besoin de rien emporter d’autre, désormais, dans mon sac à main. 

     

     


  • une bulle de douceur

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